Mirage
Une macabre découverte secoue Stockholm : un tas d'ossements humains est retrouvé dans le métro, et le squelette pourrait bien appartenir à un financier de renom. Lorsque d'autres restes humains sont retrouvés dans les entrailles de la ville et que le ministre de la Justice disparaît, l'enquête bascule dans une course contre la montre. Un décompte de quatorze jours est amorcé. Qui manipule les fils de la terreur pour viser les plus hautes sphères du pouvoir ? La détective Mina Dabri doit une nouvelle fois compter sur l'aide du mentaliste Vincent Walder.
Extrait
QUATORZE JOURS RESTANTS
Niklas mastiquait lentement tout en observant sa famille de l’autre côté de la table. On était le 17 décembre, et sa fille et lui avaient décidé de commencer à décorer la maison pour Noël, même si c’était encore prématuré à son goût. Des lutins de Noël en porcelaine blanche ornaient la table, et la pièce baignait dans la lumière douce d’une guirlande électrique. Étant tous deux tombés d’accord pour dire que le sapin avait peu de chances de survivre jusqu’à Noël s’ils le rentraient dès maintenant dans la maison, ils avaient suspendu la guirlande à la lampe éteinte au-dessus de la table.
Sa fille portait un tricot avec des diodes clignotantes rouges et vertes et lui-même avait mis une cravate rouge en l’honneur de ce dîner. Son costume était bien sûr gris cendré, comme d’habitude. Il ne faut pas exagérer.
Il porta une nouvelle fois la fourchette à sa bouche. Un bout d’ananas confit au gingembre, piment et miel. Personnellement, il ne trouvait pas que les fruits aient leur place dans un plat de résistance, mais sa fille adorait l’ananas. Elle le préférerait sans doute au bifteck. Tant mieux, il y aurait d’autant plus de viande pour lui.
Ses deux convives étaient absorbés par le contenu de leur assiette et n’avaient pas l’air de remarquer ses regards scrutateurs. Heureusement. Il faisait sans doute une drôle de tête, mais il n’y pouvait rien. Il ne trouvait pas de mot plus adéquat que “satisfaction” pour décrire ce qu’il ressentait. C’était un sentiment tout neuf, même si en fin de compte il n’avait pas fallu tant d’efforts pour le faire naître.
Cela n’était pas dû à sa carrière, pourtant brillante.
Ni à l’appartement sur Linnégatan dans le quartier d’Östermalm, même s’il aimait beaucoup le logement dont sa fille et lui bénéficiaient.
Non, tout ce qu’il avait fallu, c’étaient eux trois, rassemblés autour de la même table.
La tentative d’assassinat dont il avait été victime six mois auparavant et qui avait fait grand bruit dans la presse n’était plus qu’un mauvais souvenir. Bien sûr, il faisait toujours l’objet d’une protection rapprochée, et il faudrait sûrement encore au moins six mois avant que ses employeurs ne relâchent un peu la pression. Mais il avait l’habitude de ses gardes du corps depuis si longtemps qu’il avait fini par les considérer comme des membres de la famille.
Sa famille.
Le centre de ses préoccupations, justement. Sa fille avait seize ans, elle devenait une femme, et il était assez satisfait de tout ce qu’il lui avait appris sur la vie. Bien sûr, elle lui balançait régulièrement qu’elle le détestait, mais quoi de plus normal de la part d’une adolescente. Et en face de lui, son ex-femme. Si quelqu’un, ne serait-ce que six mois plus tôt, lui avait dit qu’ils se retrouveraient comme ce soir autour d’un dîner, il n’y aurait pas cru un instant. En aucun cas. Mais le cliché s’était avéré. Le temps guérit toutes les blessures. Les voilà, famille moderne, à déguster des plats de Noël en avance. Sans se haïr. Ils s’étaient même offert des cadeaux.
Il en eut la gorge serrée et tourna le regard vers la fenêtre pour que les autres ne voient pas ses yeux embués. Dehors, la neige tombait doucement dans l’obscurité. Le monde était comme une carte postale. Sa vie aussi, en ce moment précis.
Pour la première fois depuis des années, aucune tension dans ses épaules. Pas le moindre mal de tête à l’horizon.
Un bourdonnement dans l’entrée indiqua que quelqu’un sonnait à la porte. Sa fille leva la tête, surprise.
—
Qui ça peut être ? dit-elle. On est samedi. Tu m’avais promis de ne pas travailler le soir de notre dîner de Noël.
—
Je n’en ai aucune idée, répondit-il en toute sincérité.
Vous n’attendez personne non plus, j’imagine ?
