Impurs

Auteur : David Vann
Editeur : Editions Gallmeister

Été 1985. Dans la vieille demeure familiale, en plein coeur de la Vallée Centrale de Californie, Galen vit seul avec sa mère. Tandis que celle-ci s'attache à faire revivre un passé idéalisé et l'étouffé d'un amour oppressant, le jeune homme tente de trouver refuge dans la méditation. Son existence et celle de sa mère sont rythmées par les visites inopportunes de sa tante et de sa cousine trop sexy, et par celles qu'ils rendent à sa riche grand-mère dont la mémoire défaille. Mais l'accumulation de rancoeurs entre les deux soeurs et l'obsession de Galen pour sa cousine ne tarderont pas à les mener au bord de l'explosion. Une fois que la noirceur de chacun se sera révélée au grand jour, rien ne pourra plus les préserver du pire.

Après Désolations et Sukkwan Island, prix Médicis étranger 2010, David Vann nous entraîne dans la fournaise californienne. Il livre un roman haletant sur la folie et la lente descente aux enfers d'un jeune homme à l'esprit torturé. Le nouveau tour de force d'un romancier exceptionnel.

23,10 €
Parution : Mars 2013
278 pages
ISBN : 978-2-3517-8061-9
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Extrait

Galen attendait sa mère sous le figuier. Il lisait Siddhartha pour la centième fois, le jeune bouddha contemplant la rivière. Il sentait l'énorme présence du figuier au-dessus de lui, écoutait le non-vent, le calme. La chaleur estivale accablante, aplatissant la terre. La sueur comme une pellicule recouvrant presque tout son corps, une enveloppe.
Cette vieille maison, les arbres séculaires. L'herbe déjà haute qui lui grattait les jambes. Il essaya malgré tout de se concentrer. D'entendre le non-vent. De se focaliser sur sa respiration. De faire abstraction du non-soi.
Galen, appela sa mère depuis l'intérieur. Galen. Il respira plus profondément, essaya de faire abstraction de sa mère.
Ah, te voilà, dit-elle. Tu viens prendre le thé ?
Il ne répondit pas. Il se concentra sur sa respiration, espérant que sa mère disparaîtrait. Mais il était là à l'attendre, bien sûr, à attendre le thé.
Aide-moi à sortir le plateau, dit-elle, alors il soupira, posa son livre et se leva, les jambes courbaturées d'être resté assis en tailleur.
Te voilà, dit-elle lorsqu'il entra dans la cuisine.
Le plancher ancien ployant sous ses pieds nus. La rugosité du vernis écaillé. Il prit le plateau en argent, suranné, pesant, la théière en argent richement décorée, les tasses en porcelaine blanche, tout ce qui le déprimait, et alors qu'il avait les mains prises, sa mère se pencha derrière lui et l'embrassa, ses lèvres sur son cou et le petit reniflement qu'elle faisait pour être mignonne, ce qui le fit tressaillir et lui donna envie de hurler. Mais il ne lâcha pas le plateau. Il le porta jusqu'à la table en fonte à l'ombre du figuier, tout près du mur du hangar pourvu d'un petit appartement à l'étage. Il envisageait d'y emménager pour échapper à sa mère, pour échapper à leur maison.
Sa mère désormais à ses côtés avec les en-cas, des sandwichs au concombre et au cresson. Ils n'habitaient pas en Angleterre. Ils n'étaient pas en Angleterre. Ils étaient à Carmichael, une banlieue de Sacramento en Californie, dans la Vallée Centrale, un long gouffre brûlant et sauvage, ils étaient aussi loin de l'Angleterre qu'on peut l'être, mais chaque après-midi, ils prenaient le thé et le goûter. Ils n'étaient même pas anglais. Sa grand-mère venait d'Islande et son grand-père, d'Allemagne. Rien n'aurait jamais de sens dans leur vie.
Assieds-toi, dit sa mère. Ton livre te plaît ?
Elle lui versa une tasse de thé. Elle était vêtue de blanc. Une chemise d'été blanche et une longue jupe, toute blanche, avec des sandales. Ses cuisses empâtées, la moitié inférieure de son corps se développant plus rapidement que la moitié supérieure.
Prends un sandwich, dit-elle. Il faut que tu manges.
Des petits sandwichs sans croûte. Concombre et fromage à tartiner. Même s'il avait eu le moindre appétit, cette nourriture aurait figuré presque au bas de la liste de toutes les nourritures du monde.
Tu es émacié, dit-elle.
Il se recentra sur son souffle. Dès qu'elle parlait, il se recentrait sur sa respiration, l'expiration, laissait se dénouer les liens qui le rattachaient au monde. Il compta dix expirations, puis il sirota son thé, un goût de menthe, chaud et sucré.

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