La danse de l'ours

Auteur : James Crumley
Editeur : Editions Gallmeister
En deux mots...

Paru pour la première fois en 1986, ce roman est la deuxième enquête de Milo Milodragovitch, détective privé porté sur la poudre blanche et les neiges de l'hiver.

Traduction : Jacques Mailhos
22,60 €
Parution : Novembre 2018
320 pages
ISBN : 978-2-3517-8135-7
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Présentation de l'éditeur

L'ancien détective privé Milo Milodragovitch s'est assagi : délaissant les drogues, il limite désormais ses vices à l'alcool et s'est trouvé un job paisible d'agent de sécurité à Meriwether, Montana, en attendant de pouvoir toucher l'héritage parental le jour de ses cinquante-deux ans. Quand une riche vieille dame, ancienne maîtresse de son père, vient remuer de vieux souvenirs et lui confier une enquête si facile qu'elle ne semble pas justifier ses généreux émoluments, l'aubaine est trop alléchante pour pouvoir résister. Mais ce qui devait n'être qu'une mission de routine ne tarde pas à exploser en tous sens et se transforme en une course frénétique entre voitures en feu, lancers de grenades, tirs de mitrailleuses et rails de cocaïne.
À travers les yeux d'un antihéros dur à cuire et attachant, qui regarde avec amertume l'hédonisme des années 1970 se changer en matérialisme des années 1980, James Crumley nous livre un roman saccadé, brutal et sans concession, ponctué de descriptions méditatives de l'Ouest américain.

Extrait

... et souvenez-vous, mes chers petits-enfants, dans l’ancien temps il y avait plus d’ours que d’Indiens – des ours noirs et des ours bruns, des ours cannelle et aussi les grands grizzlys – et on n’avait pas de miel, rien de doux ni de sucré dans les tipis, et Soeur Abeille était toujours en colère, à voleter en tous sens pour piquer les Indiens. Les ours trouvaient toujours les arbres à abeilles avant les Indiens ; ils les éventraient, mangeaient les rayons de miel, et volaient le miel avec leurs griffes pointues et leurs langues râpeuses. Et les abeilles étaient toujours en colère, parce que les ours, ces pauvres âmes, ne connaissaient pas le secret de la fumée sacrée qui rend les abeilles amicales, et les ours ne connaissaient pas les chants d’action de grâce qui auraient pu pousser les abeilles à leur pardonner, mais pire que tout, les ours souffraient de cupidité et ils prenaient toujours tout le miel, sans rien laisser aux abeilles. Les ours connais- saient le miel mais ils ne connaissaient pas les abeilles, et voilà pourquoi les Indiens n’avaient aucune douceur dans leurs tipis.
Mais un jour, mes chers petits-enfants, un jeune homme de paix, Chil-a-ma-cho, L’Homme-Qui-Rêve-Éveillé, trouva un arbre à abeilles saccagé. Bien qu’il n’y eût là aucun miel qu’il pût prendre, et en dépit de la colère des abeilles, il fuma son calumet avec les abeilles et chanta les chants d’action de grâce pour toutes les bonnes choses de la terre. Et lorsque les abeilles sentirent la fumée sacrée et entendirent les chants, elles se calmèrent et se remirent à leurs occupations. En échange, la Grand-Mère Abeille offrit une vision à Chil-a-ma-cho.
Lorsqu’il se réveilla de son rêve, il bénit la Grand-Mère Abeille pour sa sagesse puis il suivit les traces de Frère Ours dans toute la montagne jusqu’à l’orée d’un fourré d’aronias, près des prairies où nous allions jadis déterrer les bulbes de camassia, sans jamais cesser de chanter ses chants d’action de grâce et ses chants de tristesse. Dans le fourré, il trouva Frère Ours assoupi, l’haleine encore sucrée de son festin de miel, et Chil-a-ma-cho fit une prière à l’esprit de Frère Ours pour qu’il lui accorde son pardon, puis il lui enfonça sa lance dans la gorge. De nouveau, comme nous devrions toujours le faire, mes chers petits-enfants, Chil-a-ma-cho fit une prière de pardon pour avoir tué une des précieuses bêtes de notre Mère la Terre. Puis il préleva la toison de Frère Ours, mangea son foie et son cœur trempés dans la bile, racla la graisse de la toison, la conserva, puis travailla la peau pendant trois jours et trois nuits en la frottant avec la cervelle jusqu’à ce qu’elle fût aussi douce qu’une veste en daim. Pendant encore trois jours et trois nuits, il se purifia par le feu et le jeûne, et se baigna jusqu’à perdre toute odeur humaine. Puis il se frotta le corps avec la graisse de Frère Ours et endossa la toison.
Lorsque la lune atteignit son zénith au-dessus des prairies, mes chers petits-enfants, Chil-a-ma-cho sortit à découvert en marchant à quatre pattes, grognant, reniflant, parlant la langue des ours que la Grand-Mère Abeille lui avait offerte en présent. Lorsque les autres ours des environs vinrent accueillir leur nouveau frère, Chil-a-ma-cho se mit à danser selon les pas que Grand-Mère Abeille lui avait enseignés. Le premier soir, les autres ours pensèrent que leur nouveau frère devait venir d’un lieu lointain, au-delà des montagnes, où les ours étaient fous, alors ils entrèrent à l’intérieur du pin tordu pour l’obser- ver. Le deuxième soir quelques ours dansèrent avec lui pour se montrer polis, comme on doit l’être à l’égard de nos frères d’au- delà des montagnes, et le troisième soir tous les ours entrèrent dans la danse. Ils dansèrent et dansèrent dans le cercle sacré jusqu’à ce qu’ils se fussent tous effondrés d’épuisement.
Le lendemain, alors que les ours dormaient, Chil-a-ma-cho guida les Indiens benniwah à la suite des abeilles, qui volaient avec leurs pattes chargées de pollen, jusqu’aux arbres des abeilles et au miel. Les Hommes étaient heureux et avaient hâte de manger le miel, mais Chil-a-ma-cho leur fit faire la fumée amicale, leur fit laisser la moitié du miel pour les abeilles, leur fit chanter les chants d’action de grâce. Les abeilles par- donnèrent aux Benniwah, et cessèrent de passer leur temps à piquer tout le monde.
Après cela nous eûmes de la douceur dans nos logis – sauf Chil-a-ma-cho, qui se consacra à la danse et aux ours et ne mangea jamais de miel; et c’est en sa mémoire que les Benniwah décidèrent de s’abstenir de manger du miel pendant les jours de la Danse de l’Ours, avant que nous récoltions le miel avec la fumée sacrée en chantant les chants de pardon pour la douceur en nos logis.
Bien sûr, comme vous le savez, mes chers petits-enfants, quelque temps plus tard l’homme blanc apparut, et aujourd’hui il ne reste plus beaucoup d’Indiens et encore moins d’ours, et même Sœur Abeille, béni soit son esprit, vit dans une petite maison carrée et travaille pour l’homme blanc. Depuis, il n’y a plus beaucoup de douceur en ce monde, ni dans le prochain, et plus beaucoup de danse non plus. Même L’Homme-Qui- Rêve-Éveillé, Chil-a-ma-cho, s’est endormi.
conte benniwah

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