11h14

Auteur : Glendon Swarthout
Editeur : Editions Gallmeister

Jimmy ne sait rien refuser à son ex-femme Tyler. Même quand elle lui demande de se rendre au Nouveau Mexique enquêter sur la mort de son amant, il finit par céder. Il est vrai que l’histoire est intrigante : Tyler est persuadée qu’il s’agit d’un meurtre, dernier rebondissement de la tragédie sanglante qui a opposé ses deux grands-pères au début du siècle. Jimmy débarque donc à Harding, la petite ville natale de Tyler, avec son look new-yorkais et sa Rolls de collection. Et la trouille au ventre. À juste titre d’ailleurs, car très rapidement, on essaie de le tuer lui aussi.

Traduction : France-Marie Watkins
9,90 €
Parution : Janvier 2020
336 pages
ISBN : 978-2-3517-8573-7
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La presse en parle

Glendon Swarthout réussit avec ce roman aux petits oignons à conjuguer avec génie deux passions littéraires, le polar et le western. [...] Un classique à redécouvrir en version intégrale avec une traduction "remasterisée" !
Philippe Blanchet, Rolling Stones

Extrait

J’aime le BIEN, je hais le MAL.
Pour moi, le pied, c’est de faire la lecture à haute voix
devant une salle remplie de gosses de dix à quatorze ans. J’ai besoin de voir leurs réactions. Ce qui les fait rire ou pleurer, ce qui les accroche et les captive.
J’étais sur le point de lire quelques pages, mais d’abord je devais planter le décor.
— Combien d’entre vous ont déjà pris l’avion? (Seize mains levées sur dix-sept. Rien d’étonnant à New York.) OK. Maintenant, combien d’entre vous ont déjà vu une mouche dans un avion? (Deux mains levées, quelques grimaces.) Oui, enfin, vous devez en avoir tous vu sans y faire attention. La prochaine fois que vous prendrez l’avion, regardez bien. En général, on peut voir une mouche ou deux tournicoter autour du recoin où les hôtesses préparent les repas. Alors pourquoi les mouches prennent-elles l’avion? Parce qu’elles adorent voyager, tout comme vous. Pensez un peu! Il suffit à la mouche de consulter un horaire, de choisir sa destination et son vol, de voleter jusqu’à la porte d’embarquement, de monter à bord d’un coup d’aile et la voilà partie. Pas de rayons X, pas d’inspection des bagages à main. Gratuitement. Et en première, par-dessus le marché, parce que la cuisine et les alcools sont meilleurs.
Le téléphone sonna.
— Jimmie?
Mes jambes se dérobèrent. Tyler Vaught.
— Faux numéro, répondis-je tout en raccrochant.
Excusez-moi, les enfants, ce n’est que mon ex-femme. Où en étions-nous? Ah oui. Je suppose que la plupart d’entre vous connaissent l’aéroport JFK. Eh bien, la prochaine fois que vous irez là-bas, allez donc au terminal de la TWA, postez-vous au centre de la grande salle et regardez près du plafond, dans le coin nord-est. Si vous avez de bons yeux, vous...
Le téléphone sonna. — Jimmie, ici Tyler. — Je sais.
— Max est mort. Lourd silence.
— Eh bien? lança-t-elle.
— Eh bien quoi?
— Dis quelque chose.
— Ça ne pouvait pas arriver à un type plus gentil. — Salaud.
— Qu’est-ce que je devrais faire, Tyler? M’effondrer? Bon, ce fumier est mort. Bonne nuit.
— Non,attends.Ilaététuéparunchauffard.ÀHarding.
— Harding? Qu’est-ce qu’il foutait au Nouveau-Mexique ?
— C’est une longue histoire. Mais un soir, comme ça, je lui ai parlé de Harding... Tu sais, mes grands-pères, la fusillade, les procès, 1910, 1916, et...
— Ah non, ça ne va pas recommencer !
— Et il a été très excité. Tu connais Max. Il a pensé que ça pourrait donner matière à un livre. Alors le lendemain il a pris l’avion, il est allé là-bas. Il y a quatre jours de ça. Maintenant il est mort.
— Tu me fends le cœur.
— Jimmie, si je te téléphone... Son cercueil est expédié demain d’El Paso à JFK. Selon le règlement de la compagnie aérienne, quelqu’un de la famille, ou une personne munie d’une procuration, doit en prendre réception et le remettre aux pompes funèbres. Ses vieux parents habitent le Bronx et ils sont anéantis. Max était leur fils unique. Alors ils m’ont autorisée à aller chercher le corps et à signer, demain après-midi. Jimmie, je ne crois pas que j’en serai capable. Pas toute seule. Jimmie, pourrais-tu venir avec moi ?
— Un chauffard, hein? Je regrette de ne pas avoir été au volant.
— Je t’en prie.
— J’espère qu’ils esquinteront son cercueil comme ils traitent mes bagages.
— Jimmie, j’ai besoin de toi. Je ne peux...
— Adiós, Tyler.
Je lui raccrochai encore au nez et me retournai vers mon
public impatient.
— Où en étions-nous? Ah oui. Là-haut, près du pla-
fond de la TWA, vous verrez une foule de mouches. C’est le gratin, la jet set, les grands voyageurs internationaux... La TWA va partout. Ce groupe se retrouve là entre deux vols pour échanger des renseignements sur les meilleures compagnies aériennes, les meilleurs hôtels, et cetera, et la mouche qui a le plus voyagé s’appelle Frisby. Frisby est vraiment une mouche globe-trotter. Elle revient tout juste d’Italie, se remet du décalage horaire et pense à aller faire un petit tour en Afrique. Il y a un vol qui part à minuit de Kennedy à destination de Nairobi via Londres. À l’instant où commence notre histoire – les pages que je vais vous lire –, Frisby interroge ses copains sur les visas, les vaccins, les safaris et...
Soudain, je n’eus plus envie de lire, plus besoin d’une pièce pleine de gosses. Tyler rappellerait, elle ne renonce jamais, et je voulais être seul pour réfléchir aux diverses façons de lui dire non.
— Allez, les mioches, débarrassez-moi le plancher. Un type est mort et je ne suis pas d’humeur à lire des histoires. Alors foutez le camp, et adieu.
Ils disparurent.

Des enfants imaginaires, bien sûr. Je rêve d’être marié et heureux, avec ma propre progéniture à qui faire la lecture, mais hélas je ne le serai probablement jamais. Et je resterai sans descendance. J’habite un appartement sur la 73e Rue Est, entre Madison et la Cinquième Avenue. Avant, je demeurais entre Park et Lexington, et il me fallut longtemps et beaucoup d’énergie pour déménager deux blocs plus à l’ouest. Deux pâtés de maisons, même sans changer de rue, ça peut tout chambouler côté standing à New York, une ville où j’aime tout sauf la criminalité. J’adore mon quartier. Au rez-de-chaussée de mon immeuble se trouvent une galerie d’art, Les Misérables, et le coiffeur Piccolo Mondo, où d’élégantes dames se font soigner les cheveux et jouent au backgammon. Des petites vieilles en bottillons mangent des cornets de glace en promenant leurs chiens sous mes fenêtres. Il y a toujours des ordures ménagères empilées dans de grands sacs en plastique noir et une limousine Cadillac garée en double file. Mon vrai nom, B. James Butters, figure sur ma boîte aux lettres, mais il m’arrive d’en utiliser un autre. J’ai trente-quatre ans et suis resté un enfant, c’est tant mieux. Je mesure un mètre soixante-treize et pèse soixante-huit kilos. Je suis un beau gars aux cheveux blonds et aux yeux bleus de bébé, avec quatre penderies bourrées de vêtements, une automobile de collection, une imagination débordante et un boyau de la rigolade infaillible. JE PÉTILLE. JE REBONDIS.
Je suis également un trouillard. Je remercie le ciel de n’avoir jamais été à la guerre et de n’avoir eu à tuer personne. J’ai deux verrous et une chaîne à ma porte, j’ai été agressé deux fois et me suis empressé de donner tout mon argent. J’aurais ajouté une pinte de sang et une livre de chair si on me l’avait demandé. La violence dans la rue, à l’écran ou sur une page de journal me rend physiquement malade. Une sirène dans la nuit – j’habite non loin d’un commissariat et d’une caserne de pompiers – et je ne peux plus dormir. Je reste couché, j’écoute, je songe à toutes les horribles choses que les gens se font à cette minute même, ce qui me donne la chair de poule.
Aller à un aéroport pour prendre livraison d’un cadavre ne rentrait pas dans ma conception d’une sortie agréable et amusante. Même avec la femme la plus excitante qu’on puisse trouver à l’est du Mississippi.
Le téléphone.
— Jimmie, si tu m’aimes encore. C’était le cas. Désespérément.
— Non, je ne t’aime plus.
Ce soir-là, la WNBC présenta une courte nécro de Max Sansom au journal télévisé de 11 heures. Victime à quarante-quatre ans d’un chauffard, dans le Nouveau-Mexique, un des romanciers les plus populaires des États-Unis, chacun de ses livres un best-seller, sa vie personnelle aussi pittoresque que sa fiction, et cetera. J’éteignis le poste.
Le lendemain matin, il faisait la une du Times. Avec une photo récente de lui, ivre et dansant avec Tyler dans une quelconque boîte de nuit.
Elle téléphona à midi et demanda si un rendez-vous au East Side Terminal à 3 heures me convenait. Nous pourrions prendre l’autobus, et, accessoirement, Harrison Tremaine nous rejoindrait à JFK.
— Tremaine? Pourquoi?
— Eh bien, c’est l’éditeur de Max, après tout. Enfin, ce l’était.
— Tu sais que je le déteste autant que Max. Du moins, le détestais.
— Il tient à venir.
— Alors tu passes me prendre en taxi, tu m’emmènes là-bas avec et tu payes la course. Je refuse de me taper l’autobus pour aller retrouver Max Sansom mort ou Harry Tremaine vivant.
Un sombre après-midi d’avril, une petite pluie fine. Quand nous arrivâmes à Kennedy, l’American Airlines nous apprit que le vol d’El Paso aurait une demi-heure de retard. Nous allâmes au bar, et Tremaine s’y trouvait.
— B. James Butters, lança-t-il.
— Harry, répondis-je.
Nous restâmes assis à siroter des verres. Tremaine savait ce que je pensais de lui. Je le lui avais dit, plusieurs fois, en face. Lui et Sansom, sa grosse vache à lait, représentaient pour moi le mercantilisme impitoyable qui a transformé l’édition, naguère une profession de gentlemen, en un commerce qui vend n’importe quoi par n’importe quel moyen tant que c’est imprimé. Tremaine se donnait du mal pour ressembler à un ÉDITEUR – costumes de Savile Row, coupes de cheveux à trente dollars, vodka Comte Vronski –, mais ce n’était qu’une façade. Derrière l’homme se cachait une obscénité vivante. Le genre de type qui s’imagine qu’il pisse du Perrier.
— Une grande perte pour la littérature américaine, soupira-t-il pour meubler la conversation.
— Mon cul, fis-je.
— De l’avis de beaucoup.
— Un gros cul bordé de nouilles qui lâchait des pets
foireux.
— Aumoinsilavaitducul,conclutTremaineensouriant. J’enfonçai le clou:
— Il écrivait des bouquins dégueulasses, et vous vendez
des bouquins dégueulasses. Il insista:
— Max sous terre vaudra deux fois l’homme que vous êtes dessus.
— Moi, je n’ai jamais poignardé ma femme dans le ventre.
Sansom n’était rien avant ça. Après, il avait fait le tour des télés et des cercles littéraires.
— Vous ne l’avez pas gardée assez longtemps. Il vous l’a enlevée.
Je fis craquer de la glace entre mes dents. Tyler Vaught et moi étions mariés depuis trois mois quand, un soir, à un vernissage dans une galerie de Lexington, elle avait rencontré Max. Telle une chienne en chaleur, elle l’avait suivi chez lui et n’était jamais revenue. Même pas pour récupérer ses vêtements et ses produits de beauté. Un de ces charmants happenings de New York. Nous avions divorcé. Par la suite, le seul signe de vie que je reçus d’elle fut un mot me demandant de lui envoyer le revolver de son grand-père. Ce que je fis.
— Tremaine, j’en ai plein le dos de vous.
Et je me levai. Tremaine en fit autant.
— Jusqu’où monte votre dos?
Tel était le problème. J’avais vingt ans de moins, mais il
faisait quinze centimètres et une trentaine de kilos de plus que moi. De toute façon, je déteste la violence. Je défiai le nœud de sa cravate Sulka en me demandant comment me tirer d’affaire avec élégance quand Tyler me sauva.
— Pour l’amour du ciel, ça suffit vous deux. Dans un moment pareil, vous me dégoûtez.
À ce moment précis, on annonça l’atterrissage du vol d’El Paso. Je pris Tyler par le bras et me dirigeai vers la porte, laissant Tremaine payer l’addition et récupérer le ticket de caisse. Note de frais. Le 707 abordait la rampe de débarquement quand Tremaine nous rejoignit, ou plus exactement rattrapa Tyler, suintant de compassion et de désir.
— Mon chou, j’ai des amis à l’American. Voulez-vous que je m’occupe de ça pour vous ?
— Oh oui, s’il vous plaît!
— Donnez-moi la procuration. — Merci, Harry.
Il nous quitta pour aller parler à l’employé se tenant près de la porte, lequel décrocha son téléphone pendant que Tyler et moi regardions les passagers débarquer. Il y avait parmi eux des types du genre cow-boy – grands, minces et bronzés, en jean et chemise à boutons-pression, cravate-lacet, bottes et Stetson à larges bords. On en croise de temps en temps, même à New York, mais j’ai du mal à les prendre au sérieux. Ce sont sans doute des acteurs télé ou des figurants de cinéma. DES PETITS FRIMEURS DE LA CINQUIÈME AVENUE.
— Non mais t’as vu ces mecs, dis-je.
— Lesquels?
— Ceux avec les grands chapeaux.
— Et alors? C’est le vol d’El Paso. Un jour, tu devrais faire un tour dans l’Ouest, Jimmie.
— J’y suis allé. Jusqu’à Chicago.
L’avion se vida, nous nous approchâmes de la vitre.
Harrison Tremaine, en trench-coat, et deux employés portant l’uniforme de l’American Airlines marchaient sur le tarmac vers la queue de l’appareil, derrière un tapis roulant motorisé. N’ayant jamais vu un cercueil déchargé d’un avion, j’éprouvais une certaine curiosité morbide, mais j’étais étonné que Tyler veuille assister à ça. Elle prenait très bien ce drame, trop bien en fait. Soudain, je me dis qu’elle avait déjà dû en discuter avec Tremaine, qu’elle savait qu’il pourrait s’en occuper sans elle du moment qu’il avait la procuration, document qu’elle aurait pu lui remettre bien avant. Ce qui signifiait qu’elle n’avait aucune raison de venir à l’aéroport. À moins que ce ne fût une manœuvre. Pour me revoir.
Des gouttes de pluie s’écrasèrent sur la vitre. Il y avait un peu de soleil à présent, et je surpris le reflet de Tyler à côté du mien. Je me rappelai sa date de naissance: elle venait d’avoir trente et un ans. On lui en donnait vingt-quatre. Elle était de ma taille avec des yeux gris – oui, gris –, un poudroiement de taches de rousseur, des lèvres et des dents parfaites, des cheveux auburn – oui, auburn – coupés court formant un petit casque, et cet air ivre de liberté de l’Ouest. Née en selle et élevée à Harding, Nouveau-Mexique, portant maintenant un long manteau de daim et une écharpe Gucci. Si BELLE, bon Dieu.
Un agent de piste ouvrit la soute arrière de l’avion.
— Est-ce qu’il laisse beaucoup? demandai-je.
— Tu veux dire : “Est-ce qu’il me laisse quelque chose ?” — Si tu veux.
— Non. Il n’y aura rien pour personne, Harry lui avait
donné le maximum d’avance pour son prochain livre. L’argent n’avait jamais été un souci pour elle. Si un de ses grands-pères, un shérif devenu plus tard avocat, ne lui avait légué qu’un revolver, l’autre, un juge, avait plus que compensé
en lui laissant une rente : trente mille dollars par an.
— Mais Harry gagnait des fortunes. Où est-ce passé ? — Pensions alimentaires, entretien des enfants, redres-
sements fiscaux. Ah, et puis il a réglé à l’amiable un gros procès pour plagiat.
Le tapis roulant motorisé avança pour s’accoupler avec le seuil de la soute.
— Charmant garçon, dis-je. Trois divorces, une portée de mômes, une épouse poignardée, fraude fiscale, plagiat et un écrivain totalement merdeux. Pourquoi ne l’as-tu pas épousé ?
— Je ne voulais pas.
— Alors pourquoi diable m’as-tu quitté pour aller vivre avec lui?
Max Sansom descendit par le tapis roulant. À l’intérieur d’un cercueil, dans une longue caisse en bois blanc.
— Jimmie, laisse-moi rentrer avec toi ce soir.
Je fus littéralement sidéré.
— Non.
Un corbillard vint se garer près du 707. Un appareil de levage et son opérateur apparurent.
— Je ne peux pas rester seule chez lui.
— Va à l’hôtel.
— Je t’en supplie, Jimmie.
— Fiche le camp avec Tremaine. Il en pince pour toi. Une mouche bourdonna contre la vitre. Salut Frisby, pensai-je. Et puis non, l’American Airlines ne fait presque pas de vols internationaux. Frisby devait être au comptoir de la TWA, en train de voleter près du plafond avec ses potes et de parler de l’Afrique.
— Je préparerai des steaks et nous causerons et puis tu pourras m’emmener dans ton lit.
— Non.
L’élévateur souleva le cercueil du tapis roulant et le trimballa jusqu’au corbillard.
— Je ne l’ai jamais aimé, Jimmie.
— Non.
— Je t’aimais. Je t’aime encore.
Le type des pompes funèbres et l’agent de piste, aidés par un des employés en uniforme de l’American, firent glisser la caisse de l’élévateur dans le corbillard et refermèrent la porte.
— Je n’ai jamais aimé d’autre homme que toi.
— Non.
Le corbillard s’éloigna sous la pluie. Tremaine signait des papiers.
— Si tu ne me crois pas, Jimmie, pourquoi es-tu le seul que j’aie jamais épousé?

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