Confessions d'un Yakuza

Auteur : Kumagai Masatoshi
Editeur : Manufacture de Livres

L'un des plus grands parrains d'Asie

«Un chef sans idéal ne jouit d’aucun prestige. Un chef qui se laisse déborder par la réalité, d’aucune confiance.»
Les légendaires yakuzas, maîtres du crime organisé japonais, se structurent autour de trois grandes familles pour orchestrer la vie criminelle au pays du soleil levant. Parmi les leaders du clan Inagawa-kaï, Masatoshi Kumagaï fait régner un ordre nouveau. Après une ascension fulgurante, ce japonais deviendra le plus jeune des chefs yakuzas, ouvrant les activités de son clan aux trafics internationaux, apparaissant à visage découvert dans les médias, abordant son activité tel un formidable businessman et allant jusqu’à gravir les marches de Cannes pour promouvoir un documentaire qui lui est consacré...
Dans ce livre contruit à partir d’une série d’entretiens avec Kumagaï, on découvre cet intriguant maître yakuza. Page après page, il nous révèle son parcours, les coulisses d’un monde loin des fantasmes et sa philosophie entre modernité et tradition, profit et code d’honneur.

Traduction : Jean-Baptiste Flamin
21,90 €
Parution : Mars 2021
384 pages
ISBN : 978-2-3588-7739-8
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Extrait

L’homme qui foula le tapis rouge

Tout a commencé au milieu du mois d’avril 2017 avec le coup de fil d’un ami :
— Cela te dirait de rencontrer un cadre du clan Inagawa ?
Parmi les ouvrages que j’ai écrits figurent quelques manuels de psychologie du combat inspirés des techniques yakuzas. Cette entrevue collait avec le thème, et l’ami en question songeait qu’elle me serait utile un jour.
— De qui s’agit-il ?
— De Masatoshi Kumagai, le onzième héritier de la famille Himonya-ikka*.
— Celui de Cannes ?
— Exact.
Masatoshi Kumagai…
Kumagai apparaît dans Young Yakuza, un documentaire français projeté hors compétition au Festival de Cannes 2007.
Jean-Pierre Limosin, le réalisateur, y décrit le quotidien au sein de la pègre japonaise. À l’époque, M. Kumagai était à la tête du Kumagai-gumi, ou clan Kumagai, et travaillait au bureau exécutif de la dixième génération de la famille Himonya-ikka ; il avait fait sensation dans les médias japonais et étrangers en tant que premier yakuza en exercice à fouler le tapis rouge de Cannes. Deux sociétés de production de cinéma nippones avaient affiché leur volonté de distribuer le documentaire, mais avaient finalement renoncé, l’époque étant au renforcement des contrôles légaux contre les « forces antisociales ».
Cela faisait déjà longtemps que le nom de Masatoshi Kumagai revenait à mes oreilles. Devenu cadre moyen supérieur du clan Inagawa-kai à seulement trente-deux ans, puis jikisan, cet homme semblait prometteur.
Toutefois, il se vit rétrogradé en 2006 à la suite de querelles de succession au sein du clan Inagawa-kai. Puis, au terme de six années de purgatoire, c’est sous l’égide de Kiyota Jirô, président et cinquième héritier du clan, qu’il fit son come-back et redevint jikisan, avant d’intégrer, en avril 2018, le bureau exécutif du clan Inagawa-kai en tant que bras droit de l’administrateur général.
Ce Masatoshi Kumagai s’était distingué à un âge précoce par son élan redoutable, avait chuté, foulé le tapis rouge de Cannes après un temps de purgatoire, puis faisait aujourd’hui figure de poids au sein de son clan… Voilà à peu près tout ce que je savais de lui quand mon ami m’a passé ce coup de fil.

Yakuzas et business

Je me suis donc rendu au bureau de la famille Himonya-ikka, situé dans le quartier d’Ôimachi, à Tokyo. On m’a fait passer au troisième étage, puis entrer dans le bureau du président : là, Masatoshi Kumagai, ledit président, m’a accueilli, debout. Costume gris sur chemise blanche et cravate unie de même ton. Il a répondu à mes salutations en se courbant du haut de sa grande taille.
— Je vous en prie, asseyez-vous, m’enjoint-il poliment en me désignant le canapé d’un geste prompt.
Il est alors, d’après mes sources, âgé de cinquante-six ans.
Ma première impression est que je me trouve face à un homme d’affaires.
Le bavardage va bon train quand je lui demande comment il perçoit l’époque actuelle, qualifiée d’« hiver des yakuzas » à cause de la loi antigang* et des arrêtés d’exclusion des groupes violents*.
— Les temps sont durs, entame-t-il. Ça, c’est une certitude. Cependant, cette « période hivernale » opère une sorte de sélection naturelle : les chefs de clan qui se reposent sur leurs lauriers et ne s’adaptent pas disparaissent. Nombre de groupes s’éteignent, et beaucoup de yakuzas ne s’en sortent plus. C’est un peu comme si les difficultés agissaient comme un révélateur, décapant la rouille qui recouvre la surface des choses et dévoilant le métal en-dessous. Ce que cela questionne, ce n’est pas l’époque, mais la façon dont les plus haut placés de chaque organisation se conduisent dans la tourmente. Ce que cela questionne, c’est notre propre façon de vivre.
Ces mots m’ont surpris. En effet, jusque-là, tous les yakuzas que j’avais rencontrés pensaient la situation actuelle en termes binaires : « les autorités contre les yakuzas », sans qu’un seul ne remette exclusivement en question son milieu, et plus particulièrement sa « façon de vivre ».
Je me souviens d’un chef de clan du Kantô qui, au sujet de cet « hiver » yakuza, tenait les propos suivants :
— Si on se fait davantage serrer la bride, on n’aura plus qu’à entrer dans la pure clandestinité. Et est-ce que ça profiterait seulement au pays ? Peut-être que ce serait une bonne chose d’y réfléchir au moins une fois, non ?
Ou encore de ce yakuza du Kansai qui s’indignait :
— Nous aussi on a des droits !
Masatoshi Kumagai, lui, ne critiquait pas l’époque et ne se lamentait pas non plus sur son sort. C’était un réaliste qui profitait de la situation actuelle pour remettre en question sa propre conduite.
Durant mes années en tant que journaliste pour des hebdomadaires, j’ai eu maintes fois l’occasion d’interviewer des directeurs d’entreprises haut placés à la réputation irréprochable. Ils me faisaient part de leurs rêves, me dévoilaient les moyens à mettre en œuvre pour les concrétiser, puis soulignaient les obstacles à franchir pour parvenir à leurs fins. Ces visions qu’ils me décrivaient étaient dénuées d’autocomplaisance ; ces hommes étaient des réalistes forcenés.

Informations sur le livre