Le tableau du peintre juif

Auteur : Benoît Séverac
Editeur : Manufacture de livres

L’oncle et la tante de Stéphane vident leur appartement et lui proposent de venir recupérer quelques souvenirs :
- Tu pourrais prendre le tableau du peintre juif.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Quel peintre juif ?
- Celui que tes grands-parents ont caché dans leur grenier pendant la guerre.
C’est ainsi que Stéphane découvre un pan de l’histoire familiale complètement ignoré. Eli Trudel, célèbre peintre, aurait été hébergé pendant l’Occupation par ses grands-parents, le tableau est la preuve de sa reconnaissance et Stéphane en hérite aujourd’hui. La vente de cette œuvre de maître pourrait être un nouveau départ pour son couple mais Stéphane n’a plus qu’une obsession : offrir à ses grands-parents la reconnaissance qu’ils méritent... Cependant quand le tableau est présenté aux experts à Jérusalem, Stéphane est placé en garde à vue, traité en criminel : l’œuvre aurait été volée à son auteur. Quel secret recèle cette toile ? Que s’est-il vraiment passé dans les Cévennes, en hiver 1943, pendant la fuite éperdue d’Eli Trudel et de sa femme ?

Dans cette enquête croisée entre passé et présent, Benoît Séverac nous maintient en haleine et nous entraîne aux côtés de Stéphane sur les traces du peintre juif et de sombres secrets de l’Histoire.

20,90 €
Parution : Septembre 2022
ISBN : 978-2-3588-7885-2
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Extrait

Prologue

À l’heure qu’il est, je pourrais être installé sur la terrasse d’Annie et Kader, en train de siroter un apéritif et de regarder le soleil s’avachir sur la chênaie. Mon seul souci serait la présence de moustiques. Bien qu’aucun de nous ne croie en leur efficacité, nous allumerions des serpentins répulsifs, et nous continuerions à boire en ponctuant notre conversation de tapes sur nos avant-bras et nos chevilles.
Au lieu de quoi, je suis dans cette salle d’interrogatoire, entre cellule de prison et abri antiatomique, et je crève de chaud autant que de peur. La France, la Dordogne, les vacances... Tout cela me paraît si loin, si inaccessible.
Pour l’instant, il y a plus grave que mes congés gâchés et l’inconfort d’une garde à vue, plus grave même que la perte de mon tableau... Il s’agit d’éviter la prison. La prison en Israël, qui plus est.
Sortir d’ici. En finir avec cette détention qui ne dit pas son nom. Foutre le camp.
Cela fait des heures qu’ils me retiennent; je suis épuisé; j’ai soif ; j’ai faim. Et il ne se passe rien. On ne m’informe de rien.
Un policier est venu chuchoter quelques mots à l’oreille de son collègue qui me surveillait, puis ils sont sortis sans une explication. À présent, ils me font mariner. Je ne sais pas depuis combien de temps je poireaute. Je suis sûr qu’ils le font exprès, que cela fait partie d’une stratégie. J’ai beau le savoir, j’ai beau me le répéter, ça fonctionne : je ne sais pas ce que je vais devenir. J’imagine le pire.

C’est moche, ici. Pas sale, mais pas accueillant non plus. Où que mon regard se pose, c’est peinture écaillée, mobilier fatigué, revêtement piétiné. Je pense à tous les types qui m’ont précédé
ici.
Je ne comprends pas ce qu’on attend de moi. Que peut-on me
reprocher ? Comment puis-je être tenu pour responsable d’événements qui se sont déroulés il y a soixante-quinze ans ? Je n’étais pas né.
Pourtant, ils m’ont escorté manu militari hors du restaurant. Je n’ai même pas pu finir mon repas. Ils m’ont demandé de prendre mes affaires et m’ont poussé dans une voiture de police. Après, ils m’ont jeté là.
Depuis, je n’ai cessé de demander les raisons de mon arrestation. « Que se passe-t-il ? Qu’ai-je fait ? » Ils ont observé un mutisme total. Jusqu’à ce qu’un officier se présente accompagné d’un interprète et me signifie la saisie de mon tableau. Art volé. Spoliateur de Juifs. La Shoah, les camps, les dénonciations... Je viens de basculer du mauvais côté de l’Histoire. Tout au moins, mon grand-père. Mais c’est comme si c’était moi. Ma famille, mon nom... salis ; nous sommes officiellement des salauds.
Je pense à Irène, bien sûr. Elle était opposée à ce projet. Elle avait raison.
J’ai tout perdu : l’honneur de mes grands-parents et le tableau.
Pour Irène, cette aquarelle représentait notre billet gagnant, l’issue de secours qui devait nous permettre d’échapper à notre vie de ratés. C’est sûr, elle va me traiter de tout quand elle apprendra ce qu’il m’arrive. Elle va m’en vouloir et peut-être pire encore, elle va rire de moi. En tout cas, si elle n’a pas déjà décidé de me quitter, ce dernier rebondissement achèvera de la convaincre de le faire. Comment lui en vouloir ? Je ferais pareil à sa place.
J’observe mon reflet dans le classique miroir derrière lequel on m’observe aussi, assurément: un quinquagénaire; une chemise auréolée de sueur au niveau des aisselles ; une gueule sur laquelle se lit l’inquiétude, la fatigue aussi à présent.
Je détourne les yeux. Il m’est difficile de supporter cette image, mais il m’est tout aussi difficile de croire que mes grands-parents aient pu faire quoi que ce soit de moralement répréhensible. Tant de choses se sont passées depuis la Deuxième Guerre mondiale ! Des archives ont brûlé, des registres se sont égarés, de fausses informations ont circulé... Les Israéliens se trompent ! S’ils avaient connu mes grands-parents, ils sauraient ! Ils ont confondu ce tableau avec un autre, très ressemblant. Il n’est pas rare pour un peintre de procéder à des séries correspondant à une période dans sa carrière. Cette aquarelle n’a peut-être jamais été inventoriée. Elle a pu être peinte pendant le séjour d’Eli Trudel et son épouse chez mes grands-parents.
Mais comment contredire le comité ad hoc en charge de l’attribution du statut de Juste parmi les Nations pour le centre Yad Vashem ? Comment s’opposer à l’avis rendu par un panel d’experts de l’université de Tel-Aviv ? Comment faire valoir ses droits en étant menotté et mis à l’isolement dans un commissariat de Jérusalem sans idée du sort qu’on vous réserve ?
Et l’ambassade de France, qu’est-ce qu’ils foutent ? Qu’est-ce qu’ils attendent pour intercéder en ma faveur ?
Je me raisonne : je n’ai rien fait de condamnable par la loi, ils vont me libérer d’un moment à l’autre. Ils tiennent simplement à marquer le coup en me donnant une leçon. Je dois rester fort.
Le voile noir se lève timidement et je me redresse sur ma chaise.
Il n’empêche, je me sens toujours minuscule au centre de cette pièce mal aérée et mal éclairée.
Qu’est-ce que mes filles penseraient de moi si elles me voyaient en ce moment ?
Quant à Irène... Irène ne me pardonnera jamais.

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