Nous errons dans la nuit dévorées par le feu

Auteur : Jules Grant
Editeur : Inculte-Dernière Marge

Manchester, début des années 2000. Donna et Carla, filles du sud de la ville, amies depuis l’enfance, dirigent un gang composé exclusivement de femmes. Elles sont parvenues à s’établir malgré les hommes et à se faire une place et un nom dans les coins les plus mal famés. Contrairement aux hommes, Carla, Donna et leurs acolytes restent à l’écart des guerres de clans, font profil bas et prospèrent tranquillement du commerce de drogue vendue dans les toilettes des clubs de la ville dans des atomiseurs à parfum. Mais un jour, Carla est abattue pour avoir séduit la femme d’un membre d’un gang rival. Donna doit alors protéger Aurora, la fille de Carla, dix ans et une langue bien pendue, et ourdir une vengeance contre l’assassin.

Dans la plus pure tradition du roman hard-boiled, mais porté par des personnages féminins, Nous errons dans la nuit dévorées par le feu parle de revanche, de loyauté, de fidélité. Jules Grant nous gratifie dans le même mouvement d’une magnifique histoire d’amour et d’un roman captivant que l’on ne lâche qu’à la dernière page.

Traduction : Maxime Berrée
19,90 €
Parution : Juin 2020
288 pages
ISBN : 978-2-3608-4051-9
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Extrait

On va pas mentir, tout le monde le sait, y a rien de plus moche qu’une baise d’adieu. Et pour être honnête je me sens encore assez mal quand j’y repense, Louise en larmes parce qu’elle a rien vu venir et moi qui ai déjà un pied dehors.
À peine dans la rue, alors que je reprends mon souffle, du calme, Mina débouche d’une ruelle et s’arrête net en me voyant.
Eh Donna, ça va ?
J’essaye de rester polie sans arrêter de marcher. Eh Mina, tu vas bien, ma poule ?
Et je continue mon chemin, je passe devant la Fiesta cramée sur le pavé, j’esquive les éclats de verre mais elle me suit toujours, pendue à mon bras. Pas que ça me dérange, possible même que je la trouve mignonne à me regarder comme ça avec ses grands yeux tourmentés, mais elles se voient de temps à autre avec Carla et j’ai mon compte d’histoires de cul, pas besoin de ça.
J’évite de regarder derrière moi au cas où Louise m’observerait, mais j’ai l’impression qu’un truc neuf va se produire et je commence déjà à me sentir assez bien malgré l’air qui me glace les poumons comme du poppers à la menthe. Mina me sourit, et j’aime comme son sourire dévoile ses dents blanches, bien alignées. Je la prends par la main. Viens, je dis, cassons-nous d’ici.
OK, c’est pas malin, mais on se retrouve dans la cour derrière le Fozzie’s, entre les poubelles, sous le néon bleu électrique exit, je la plaque contre le mur et lui bouffe les lèvres comme s’il n’y avait rien d’autre au monde. Et juste au moment où je me dis que je ferais mieux d’arrêter, que ça risque de déraper salement, elle glisse ma main entre ses cuisses onctueuses, tendres, et ma chatte prend les commandes de mon cerveau.
Après, elle allume une clope et s’adosse au mur, encore toute débraillée. J’ai le bras engourdi, celui avec laquelle je la tenais par les hanches, et son goût de sel dans la bouche. N’en parle pas à Carla, elle me dit.
Y a pas d’risque.
Et c’est pas que je lui doive une explication ni rien, mais j’ai besoin de remettre de l’ordre dans cette journée mal emmanchée, alors je fixe le sol pour pas croiser son regard. T’inquiète pas, poulette, c’est pas comme si ça allait se reproduire.
Je relève les yeux et elle me regarde bien en face, la tourmente est revenue dans les siens, et à l’horizon je vois de gros nuages noirs d’orage qui foncent vers moi.
Ouais c’est ça, elle dit. Et puis elle sourit en me montrant encore ses dents blanches.
Un peu plus tard, alors qu’on traîne avec Carla au Fozzie’s à descendre du Gold Label, à manger du poulet frit et à se marrer en regardant Marta draguer lourdement une nana du Gooch, Carla me demande : Alors ?
Et je sais ce qu’elle veut dire : Vas-y, raconte-moi ce qui s’est passé, mais j’espère qu’elle parle de Louise. C’est terminé, je dis, la bouche pleine de bouffe.
Aaah, merde, fait Carla, je parie qu’elle l’a mal pris.
Je hausse les épaules, et dans ma tête je revois Mina. Tellement bandante, Mina, quand elle tremblait comme une feuille avec ma main sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Je botte en touche : Pas envie d’en parler, je dis.
Carla sourit et adresse un clin d’œil à quelqu’un derrière moi. Marta nous tourne le dos, penchée vers la nouvelle coincée entre le comptoir et elle. La fille a vu le clin d’œil, elle lui répond par un grand sourire.
Carla me regarde : Pourquoi tu tires la tête ?
Avant que j’aie pu répondre, elle me tape sur l’épaule et je suis son regard dirigé vers la porte où s’encadrent les deux obèses, Gros-Lard et Mouss. Je vérifie que j’ai ma lame, et je vois Carla faire pareil. Qu’est-ce qu’ils foutent là ? je demande.
Mais Carla n’écoute pas, elle marmonne sans quitter la porte des yeux : C’est quoi cette embrouille, putain ?
C’est là que Gros-Lard s’avance, les mains dans les poches et l’air aussi fou furieux que si quelqu’un avait fait le cul à sa régulière. Je coule un regard en biais à Carla : Wow, dis-moi que t’as pas fait ça ?
Mais on n’a pas vraiment le temps de tailler une bavette. Je suis en train de me demander ce qu’il a dans les poches de sa veste quand Gros-Lard se penche et, de ses grosses pattes, attrape Carla par le col de son tee-shirt. Je me lève d’un bond et sors ma lame.

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