L'Enfant de la source

Auteur : Lucile Paul-Chevance
Editeur : Kero

Nassim est un petit garçon un peu spécial, intelligent et sensible. Il vit heureux et choyé jusqu'au jour où son père, souhaitant qu'il reprenne le commerce familial, le met entre les mains de son contremaître immoral.
La relation dégénère, Nassim décide de fuir dans le désert. Il se lie avec un marcheur qui le prend sous son aile.
De rencontre en rencontre, de découverte en découverte, Nassim va recevoir la plus grande des leçons de vie.

Au fil de ce roman initiatique, suivez un petit garçon dans le désert, partagez ses rencontres merveilleuses, écoutez les apprentissages qu'on lui délivre et, la dernière page tournée, vous comprendrez que, comme lui, vous en êtes sorti grandi.

17,00 €
Parution : Mars 2018
272 pages
ISBN : 978-2-3665-8400-4
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Extrait

Nassim avait cinq ans lorsque la voix lui parla pour la première fois. Tout absorbé par son monde intime, il ne fut pas surpris d’entendre une voix en même temps à l’intérieur et à l’extérieur de lui-même. Il déposa cependant sur le lit la pelote de laine grise qu’il avait dérobée à sa mère pendant le déjeuner et regarda dans sa chambre. Tout y semblait en ordre, le lit parfaitement fait, la fenêtre entrouverte sur les bruits de la rue, le bureau bien rangé, les crayons de couleur pointe en haut dans leur gobelet de bois. Personne. Il allait reprendre l’enroulement méthodique du brin de laine rugueux autour de son doigt lorsque la voix s’éleva de nouveau. Il se retourna, souleva le plaid en damas bleu qui recouvrait le lit jusqu’au sol pour chercher dessous. La voix paraissait se trouver là, en même temps qu’elle résonnait dans sa poitrine.
Nassim s’immobilisa, interdit. Le monde contenait décidément une quantité infinie d’événements et de situations inexpliqués. Il en avait l’habitude; il passait d’interminables heures à recevoir, intégrer, digérer les informations qui déferlaient sans discontinuer dans son existence. C’était un enfant patient et appliqué. Quand une situation ou un comportement lui échappait, il s’asseyait au sol, les fesses sur les talons, les yeux mi-clos, il laissait venir. C’était sa manière d’appréhender le monde, de l’accueillir sans chercher à s’en saisir. Il n’aimait ni prendre ni comprendre, il préférait recevoir, assimiler les événements par imprégnation et, lorsque c’était fait, il se levait, s’étirait et disait : « Je sais. » Sa sœur au même âge babillait, posait mille questions, faisait tourner ses jupes colorées. Nassim aimait se laisser imprégner par le monde qui l’entourait. Il s’immobilisa donc et porta son entière attention sur la nouvelle situation qui se présentait à lui. Ce n’était pas exactement une voix, mais plutôt une sensation. Il lui semblait entendre des mots indistincts. Une chaleur extrêmement agréable coula le long de son dos.
— Nassim, je m’appelle Source. Je suis venue faire ta connaissance.
Inquiet, il posa la main sur sa poitrine. La voix y vibrait.
— N’aie pas peur, je suis une amie. Nous allons passer du temps ensemble dans les années à venir. Je suis juste venue te rencontrer une première fois. Je reviendrai.
À la fois étonné et curieux, il inspecta de nouveau le dessous du lit. Personne. La voix ne parlait plus, ni dedans ni dehors. L’instant avait été trop court, le message trop étrange et l’expérience trop brève pour qu’il ait eu le temps de les mettre en relation avec quoi que ce soit de connu. Il ferma les yeux et resta à nouveau totalement immobile quelques secondes pour tenter de retrouver cette sensation si agréable. Rien à faire, c’était parti. Il regarda la pelote de laine tombée du lit à ses pieds, la ramassa sans réfléchir et fila rejoindre sa mère qui préparait le dîner avec la bonne dans la cuisine.
— Maman, il y a quelqu’un qui parle dans ma chambre.
— Quiça?
— C’est quelqu’un que je connais pas.
— Tu peux le voir?
— Non.
— C’est peut-être un esprit.
— C’est méchant ? s’inquiéta Nassim.
— Non, pas du tout. S’il te fait peur, on demandera au marabout de venir. Mais rassure-toi, mon chéri, les esprits ne viennent jamais embêter les petits enfants.
Il fut tenté de la questionner davantage, mais Abida, la bonne, venait de sortir un plat chaud du four. Les deux femmes se penchèrent dessus pour en vérifier la cuisson. Nassim s’enroula dans les jupes de sa mère, essayant de capter à nouveau son attention. Il la trouvait tellement extraordinaire. Elle savait un nombre de choses incroyable, comme faire à manger, cajoler, soigner, raconter des histoires... Elle connaissait le nom des étoiles, qu’elle enseignait à sa sœur Naia. Certains soirs, à table, elle conseillait son père dans ses affaires. Lui qui s’impatientait lorsqu’on ne répondait pas assez vite à ses questions restait silencieux et calme quand elle lui parlait. Ses connaissances étaient illimitées, ses qualités, infinies. Mais ce qu’elle avait de mieux était ses seins, deux seins pleins, accueillants et tendres contre lesquels Nassim venait régulièrement s’abandonner. Il y déposait sa tête lourdement, sans aucune retenue et avec une totale confiance. Ce refuge lui appartenait; c’était son territoire de paix et d’amour; il savait pouvoir y recevoir réconfort et sécurité. Quand la vie lui semblait compliquée ou hostile, il n’avait qu’à repérer l’endroit où sa mère se trouvait dans la maison, accourir et tendre les bras. Elle comprenait tout de suite, sans poser de questions, l’attrapait et le serrait contre sa poitrine. Dans ses moments de grandes inquiétudes, l’enfant ouvrait la tunique et collait sa joue contre la peau chaude. C’était encore mieux ainsi.
L’oreille étroitement plaquée contre le sein gauche, il écoutait battre le cœur, à un rythme régulier, précis, rassurant. Il percevait les battements et, le plus souvent, il s’endormait. Il ne savait pas encore que ces instants de tendresse infinie lui étaient comptés. Dans deux ans, il aurait sept ans et ce serait terminé.

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