Un été sous les tilleuls

Auteur : Jean-Paul Malaval
Editeur : Calmann-Lévy

Famille, je te hais.

Albin Dumontel coule des jours tranquilles dans son manoir de la campagne limousine. Un héritage pieusement conservé où le vieil homme entretient le souvenir de ses deux épouses défuntes.

Mais à l'été, M. Dumontel se doit de sacrifier à un rite bien établi : l'irruption de sa famille. Deux enfants et cinq petits-enfants viennent bientôt troubler la sérénité des lieux.

Sous les amabilités et les bons sentiments, les rivalités percent. La réussite des uns est insupportable aux faillites des autres. Chacun défend son pré carré et chacun, dans son coin, nourrit son petit secret : un amant, des difficultés financières, une orientation sexuelle...

Lorsque la belle-fille d'Albin aborde la question de l'héritage, les masques tombent et les clans se forment.

18,90 €
Parution : Novembre 2020
320 pages
ISBN : 978-2-7021-6333-7
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Extrait

C’était devenu un rite sacré chez les Dumontel, malgré l’air du temps porté vers le dépaysement et les grands voyages, que sa famille vînt passer quinze jours d’été sous les tilleuls du Puy-de-Grâce. Ces retrouvailles, quasi obligatoires, étaient-elles vécues comme un ressourcement, une récréation, un devoir de vacances ? On s’interdisait de formuler la moindre opinion, tant qu’au sommet de sa pyramide Albin Dumontel pontifiait comme un vieux sage, secret et énigmatique. Sans doute guettait-on chez lui le premier signe de fléchissement, les prémices d’une chute annoncée.
Depuis deux jours, le vieil homme donnait les consignes à sa servante, parfois revenant sur celles-ci, se contredisant ou se répétant sans fin, comme si après tant d’étés passés au Puy-de-Grâce, l’ordonnancement se pourrait modifier en profondeur.
La demeure des Dumontel était si vaste, avec ses trois salons, ses dix chambres, ses cinq ou six alcôves servant de débarras et tant d’autres recoins en déshérence, qu’on y aurait pu loger une colonie de vacances. Mais le vieil Albin tenait à faire respecter une certaine hiérarchie, comme offrir les meilleures chambres à sa lignée directe, ses deux enfants Xavier et Virginie. Il était fier de ces deux-là, la cinquantaine passée avec de bonnes situations, l’un chef d’entreprise et l’autre médecin-chef. On les recevrait au second étage, chacun dans une aile, côté gauche et côté droit, où la demeure formait deux avancées massives sur le parc avec une plaisante perspective sur le village de Martinzac-les-Églises. Puis les enfants de Xavier, Romane et Manuel, occuperaient les pièces du milieu dont les fenêtres donnaient sur les ramures fournies de trois majestueux tilleuls. Ces arbres étaient l’âme de la maison, jamais élagués ni rafraîchis, quelquefois étêtés par les orages pour repousser de plus belle.
— La chambre jaune pour Romane et Albert Nadaud, ordonna Albin. Il leur faut un peu d’aisance. Ça se dispute souvent. Une professeure et un marchand de voitures, ça ne fait pas bon ménage. Quelle étrange union ! nota encore une fois le vieil homme en soupirant. Mais qu’y puis-je ? L’amour et la raison n’ont jamais fait bon ménage.
Amélie l’observait morigéner en souriant. Elle connaissait l’histoire des Dumontel sur le bout des doigts. Mais pour rien au monde, elle n’eût émis la moindre approbation. C’était tout ce qu’elle avait appris, sa vie durant, en travaillant chez les autres – le mutisme et la discrétion.
— Quant à leurs enfants, Léni et Paul, nous les logerons dans une pièce avoisinante. C’est bruyant à cet âge, dissipé et si mal élevé, n’est-ce pas ? Je ne veux pas entendre leurs criailleries.
Albin se tenait à l’angle de sa bibliothèque, contre les encyclopédies qu’il caressait du bout des doigts, amoureusement.
— Des nids à poussière, les livres, dit Amélie.

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