Et le chêne est encore là

Auteur : Sofia Lundberg
Editeur : Calmann-Lévy

Quoi de plus fort que l'amitié entre deux femmes?

Un divorce douloureux fragilise Esther et les week-ends sans son fils sont durs à vivre. Pour se consoler quand elle est seule un samedi sur deux, Esther va s’asseoir sur un banc proche d’un superbe vieux chêne, au bord d’un lac près de chez elle. Un jour, une certaine Ruth y est assise et semble l’attendre. C’est une vieille dame d’un optimisme incroyable sur la vie.

Ruth se met à dévoiler sa jeunesse à Esther, fascinée, et une jolie amitié naît. Mais il pourrait y avoir des apparences trompeuses. Quels secrets Ruth semble-t-elle garder ? La réponse à cette question mènera Esther vers un long périple, jusqu’au lac de Côme, où elle comprendra que le passé de Ruth est bien plus sombre qu’annoncé.

Et le chêne est toujours là est un roman saisissant et d’une grande tendresse sur la solitude, la résilience et la force de l’amitié, peu importe la différence d’âge et d’origine.

Traduit du suédois par Caroline Berg
19,90 €
Parution : Juin 2021
384 pages
ISBN : 978-2-7021-8025-9
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Extrait

Une minute passe, chaque seconde interminable. La couronne majestueuse de l’arbre danse, chante. Vivantes l’instant d’avant, les feuilles se détachent de leur tige et meurent. Certaines s’élèvent avant de rejoindre doucement le sol et l’épais tapis de matière végétale aux tons ocre, rouge et jaune. La mer, là-bas, joue sa symphonie fantastique. Le vent s’infiltre sous les vêtements, jusqu’à la peau, jusqu’aux tréfonds de l’âme. Froid. Glacé. Elle est seule. Même les chevaux ne se risquent plus dehors. Ils se serrent l’un contre l’autre sous leur abri précaire, à l’autre bout de la prairie. Ils renâclent de temps en temps, projettent des nuages de vapeur qui montent de leurs naseaux, se dissipent puis s’évanouissent.
Les chaussures d’Esther sont trempées après sa longue promenade. Une tache en forme de vague fonce le cuir jusque sur le dessus du pied. Ses chaussettes sont raides et humides. Elle remue les doigts de pied. D’abord les gros orteils, puis les huit autres, en même temps. Elle essaye de faire bouger les deux plus petits, indépendamment, sans succès. L’exercice a au moins la vertu de la distraire de ses pensées. Pas longtemps, quelques secondes. Le temps semble si long les jours où elle est encore une mère, mais une mère sans son enfant. Un samedi sur deux.
Le banc est froid et dur. Très vite ses fesses s’engourdissent, et l’humidité traverse la toile de son jean. Elle reste assise quand même, le dos appuyé à l’énorme tronc, sa grosse écharpe autour du cou, remontée jusqu’au nez. Elle suit des yeux les nuages qui défilent, remarque que la couche inférieure se déplace plus vite que la couche supérieure. Elle observe les formations qui naissent, puis se dissolvent. Un oiseau entre dans son champ de vision. Les ailes écartées, il plane sur les masses d’air. Elle ne parvient pas à l’identifier. Son plumage est brun et gris. C’est un rapace en tout cas, peut-être un aigle. Il guette probablement les mulots dans la prairie. Son regard scanne l’herbe jaunissante, épaisse et drue, comme un rappel orgueilleux de l’été qui vient tout juste de céder la place à l’automne.
Esther a un léger frisson en pensant à la brutalité de cette chasse. À cette pauvre souris qui court, en toute quiétude, à l’abri des herbes sèches, inconsciente du fait que dans un instant, elle sera mordue à la nuque, tuée et emportée pour servir de pitance.
Esther a froid, à présent. Elle tremble des pieds à la tête. Il est temps de rentrer. Elle se lève, mais, comme chaque fois avant de s’en aller, elle caresse le tronc du chêne et le cœur gravé dans l’écorce. Dans ce cœur, trois petites lettres. Un E, l’initiale de son prénom, et à côté, incliné vers le E, un A. En dessous de ces deux lettres est gravé un deuxième A, plus petit. Elle les effleure. Puis laisse retomber sa main.
Elle traverse seule la prairie qui lui paraît immense. Elle marche sur l’étroit sentier boueux, s’éloigne pas à pas du banc et de l’arbre gigantesque. Elle n’a pas d’enfant devant elle, courant les bras écartés comme les ailes d’un avion. Pas de genoux à nettoyer après une chute malencontreuse. Pas non plus de petit bonhomme à la traîne parce qu’il a les jambes lasses. Pas de chaussettes tombées sur les chevilles à remonter. Pas de bras qui se tendent, ni de voix qui supplie : « Tu peux me porter ? »
Juste le silence. Et au-dessus d’elle, le grand oiseau continue de se laisser flotter. Esther s’en va, les bras le long du corps, les épaules basses. Elle respire lentement, et a tout son temps pour écouter chacune de ses respirations. Elle n’est pas pressée de rentrer. Chez elle, personne ne l’attend.

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