Les Bruits du coeur

Auteur : Eva Darlan
Editeur : Calmann-Lévy

L’itinéraire chaotique d’une femme, qui la conduira de l’échec à l’épanouissement.

À quarante-deux ans, Marie est bien obligée de reconnaître que sa vie s’enlise : entre un travail alimentaire, des amours sans amour et le renoncement à son profond désir artistique, elle vit amèrement ses échecs.

Une mauvaise rencontre, un deuil terrible, et commence pour elle une descente aux enfers obstinée, méthodique.

Rien ne lui sera épargné. C’est dans la solitude de sa déchéance qu’elle accepte une main tendue. Une vie nouvelle s’offre à elle, où elle trouvera enfin sa place.

19,50 €
Parution : Octobre 2020
320 pages
ISBN : 978-2-7021-8074-7
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Extrait

Elle n’aurait peut-être pas dû rester avec Camille. Ou du moins Camille n’aurait pas dû rester si longtemps. Ou peut-être aurait-il mieux valu qu’elle ne vienne pas du tout ? Pourtant, elle s’est totalement effacée pour se mettre à son service, jusqu’au moindre détail. Dans cette putain de clinique pour gros salaires, dans cette ouate opaque où tout est fait pour que vous oubliiez votre douleur en échange d’un gros chèque, Camille a été exemplaire. Comme d’habitude. Comme toujours. Camille est douée pour le malheur des autres, elle qui est si heureuse. Elle sait toujours comment faire, quoi dire, et à quel moment alterner la consolation avec la gestion des contingences. Elle est précieuse quand tout va bien et indispensable les jours de chagrin.
Pour une courte pause, Marie, essoufflée, s’appuie sur le bras de son amie. En une même silhouette vacillante, les deux femmes avancent à petits pas dans la venelle bordée d’ateliers d’artistes.
L’horreur a eu lieu le matin, mais l’après-midi a été assez gai finalement. Toujours grâce à Camille qui a rameuté les incontournables : Bob, évidemment, son mari, large épaule pour amie esseulée, Pascal, collègue, mille fois plus que collègue, ami imputrescible de Marie, et Johanna, grande Hollandaise solide comme un rock, comme un rock and roll, ajoute-t-elle, bloquée dans les années soixante, avec une concession vestimentaire aux années soixante-dix, macramé et pantalons pattes d’eph, voisine rêvée, silencieuse et dévouée.
Tous ont débarqué avec champagne, petits-fours, fleurs et montagnes de bisous. Avec doigté et délicatesse, entre blagues, délicieuses médisances et bulles champenoises, ils ont mis une ambiance d’amour et d’humour peu habituelle dans le service feutré de la clinique, au grand bonheur du personnel hospitalier pour qui les douleurs sont toujours synonymes de malheur. Ici, il est question de grande douleur, mais, classe et dignité obligent, le malheur, on s’y vautrera à la maison, ici, on se tient.
Ils se sont retrouvés dans le hall d’entrée digne d’un palace, et se sont juré de ne pas pleurer, de ne pas la saouler avec leur chagrin, leur compassion plutôt. Camille a passé la nuit sur un matelas à même le sol, hérésie dans ce lieu si chic, car Marie a eu l’étourderie de ne pas prévoir ce détail le matin du drame ; elle a accepté sans même discuter la première chambre libre dont disposait la clinique. Donc, Camille… par terre, à la dure.
— J’adore ça ! a-t-elle lancé à l’accueil pour détendre l’atmosphère.
Elle a donc essayé de dormir aux pieds de Marie, tel le Mamelouk ramené des campagnes d’Égypte, fidèle et à disposition. Essai non transformé.
Merci, Camille, mais maintenant Marie veut juste être seule, sans la pression du regard de l’amie, si bienveillant soit-il. Camille qui fait semblant d’être naturelle. C’est raté. Toute la tension de ces deux dernières journées se lit sur son visage, et son corps est raidi par les veilles.
Encore trois jolies marches de pierre et Marie retrouve son atelier et sa vie. Non, sûrement pas. Encore trois jolies marches de pierre et Marie sera face à une nouvelle vie, une vie qu’elle n’avait pas prévue, qu’elle devra inventer pour continuer à vivre, au cas où ça l’intéresse encore.

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