L'Inconnue de la Seine

Auteur : Guillaume Musso
Editeur : Calmann-Lévy

Par une nuit brumeuse de décembre, une jeune femme est repêchée dans la Seine au niveau du Pont-Neuf. Nue, amnésique, mais vivante.
Très agitée, elle est conduite à l'infirmerie de la préfecture de police de Paris... d'où elle s'échappe au bout de quelques heures.
Les analyses ADN et les photos révèlent son identité : il s'agit de la célèbre pianiste Milena Bergman. Mais c'est impossible, car Milena est morte dans un crash d'avion, il y a plus d'un an.
Raphaël, son ancien fiancé, et Roxane, une flic fragilisée par sa récente mise au placard, se prennent de passion pour cette enquête, bien décidés à éclaircir ce mystère : comment peut-on être à la fois morte et vivante ?

21,90 €
Parution : Septembre 2021
432 pages
ISBN : 978-2-7021-8367-0
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Extrait

Paris.
— Cette fois, vous nous avez tous mis en danger, Roxane : la brigade, vos collègues, moi…
La voiture banalisée venait de quitter l’avenue de la Grande-Armée pour s’engager sur la place de l’Étoile. Le commandant Sorbier desserrait les dents pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté Nanterre. Les doigts crispés autour du volant, le flic continua ses reproches d’une voix lugubre.
— Dans le contexte actuel, si la presse apprend ce que vous avez fait, même le commissaire Charbonnel risque de sauter.
Assise à côté de lui, Roxane Montchrestien gardait le silence, le regard tourné vers la vitre striée de gouttelettes. Sous un ciel bas et gris, Paris était sinistre, enchaînant les jours sans lumière depuis le début du mois. L’humidité avait contaminé tout l’habitacle. La flic se pencha pour pousser à fond le désembuage et plissa les yeux. La masse lourde et fantomatique de l’Arc de Triomphe peinait à se détacher derrière le rideau de pluie. Par capillarité, la tristesse du décor lui fit penser à ce samedi de manifestation où la frange la plus violente des Gilets jaunes avait saccagé l’édifice parisien. La scène d’insurrection avait fait le tour du monde, cristallisant l’atmosphère délétère qui empoisonnait le pays. Depuis, les choses ne s’étaient vraiment pas améliorées.
— Bref, vous nous mettez tous dans la merde, termina Sorbier en rétrogradant pour emprunter l’avenue Marceau.
Plaquée au fond de son siège, Roxane encaissait les reproches sans même songer à se défendre. Elle respectait son patron, le commandant Sorbier, qui dirigeait la BNRF, la Brigade nationale de recherche des fugitifs. Le problème venait d’elle. Depuis plusieurs mois, elle traversait un tunnel sans fin. Elle se massa les paupières et descendit sa vitre. Au contact de l’air frais, elle voulut croire que l’énergie lui revenait et provoquait un déclic salutaire : son destin s’écrirait désormais loin de la police nationale.
— Je vais démissionner, patron, lança-t-elle en se redressant. C’est mieux pour tout le monde.
Roxane ressentit une certaine libération en prononçant ces paroles. Elle qui avait toujours vécu pour son métier se retrouvait aujourd’hui dans l’incapacité de l’exercer correctement. Comme beaucoup de ses collègues, son malaise s’était au fil du temps mué en véritable désarroi. En France, et plus spécifiquement en région parisienne, la haine antiflic était palpable. Partout.
« SUICIDEZ-VOUS ! SUICIDEZ-VOUS ! » Elle pensait aux slogans ignobles lancés aux policiers dans les manifs. C’est maintenant, songea-t-elle en respirant plusieurs goulées d’air pollué. Maintenant que je dois partir.
Un engrenage mortifère s’était mis en branle qui avait conduit les gens à détester ceux qui étaient censés les protéger. On tendait des traquenards aux flics dans les cités, on assiégeait leurs commissariats, on les lynchait dans les manifestations, on leur tirait dessus au mortier en plein Paris. Leurs enfants allaient à l’école la peur au ventre, leurs familles se délitaient et, samedi après samedi, manif après manif, les chaînes infos les faisaient passer pour des nazis avec une gourmandise obscène.
« SUICIDEZ-VOUS ! SUICIDEZ-VOUS ! » C’est maintenant que je dois partir. Elle avait la chance de ne pas avoir d’entraves. Pas de prêt à rembourser, de gamin à élever, de pension à payer. Elle allait quitter non seulement la police, mais aussi ce pays malade. Se trouver un rocher à l’écart, mais pas trop loin, d’où elle pourrait, avec douleur, finir de le regarder s’embraser.
— Vous aurez ma lettre de démission dès ce soir, promit-elle.
Sorbier secoua la tête.
— Ne rêvez pas, Roxane. Vous n’allez pas vous en tirer à si bon compte !
Ils roulaient à présent le long de la Seine en direction de la place de la Concorde. Pour la première fois, la flic montra sa mauvaise humeur.
— Je peux au moins savoir où vous m’emmenez ?
— Vous mettre au vert.
L’expression l’aurait presque fait sourire. Elle évoquait la campagne verdoyante, la douce brise, les champs à perte de vue, le blé mûr sous le soleil, le tintement des cloches des vaches. Bien loin de la réalité parisienne : une ville métastasée, sale et apathique, enduite d’une couche de pollution et de tristesse sans fin.
Sorbier attendit d’être au milieu du pont de la Concorde pour expliquer ce qu’il avait derrière la tête.
— Voici le plan, Roxane : Charbonnel vous a trouvé un service tranquille pour vous faire oublier quelques mois.
— Donc, je suis mutée, c’est ça ?
— Temporairement, oui.
François Charbonnel était le commissaire divisionnaire qui dirigeait l’Office central de lutte contre le crime organisé, la structure qui chapeautait la BNRF.
— Et mon groupe d’enquête ?
— Le lieutenant Botsaris assurera l’intérim. On vous donne une chance de reprendre pied. Ensuite, si vous y tenez toujours, vous pourrez nous laisser tomber.
Roxane porta la main au niveau de son sternum qu’un reflux acide venait d’enflammer.
— Concrètement, c’est quoi cette nouvelle affectation ?

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