Signoret-Montand, histoire d'un amour
Dans cette biographie proche d’un journal intime romancé, Nicolas d’Estienne d’Orves laisse la parole à Simone Signoret pour raconter sa passion avec Yves Montand.
Plus grande star du cinéma d’après guerre, rare Française à avoir obtenu un Oscar et intellectuelle engagée, l’actrice de Casque d’Or se dévoile à travers ce récit incisif et s’apprête à inspirer une nouvelle génération. Parce que, aujourd’hui une femme qui s’exprime n’est plus forcément considérée comme hargneuse, il est passionnant de redécouvrir cette idole à la lumière de notre époque.
Extrait
J’ai toujours associé l’amour à la lumière. Quelque chose de doux mais d’aveuglant, comme la caresse du soleil qui peu à peu devient brûlure. On le regarde dans les yeux, croyant connaître l’infini – le vôtre et celui de l’autre –, mais l’on s’y ronge la cornée. Et l’on finit à tâtons, perdu dans ses propres fantômes, armé d’une canne blanche pour lutter contre des souvenirs qu’on s’en veut de chérir encore un instant, alors qu’on n’en garde que de l’amertume et de la tristesse.
Ce constat, je le fais aujourd’hui que les années ont passé et que je suis en paix avec moi-même. Disons que j’ai fait le tri de mes rages, de mes rancœurs, et que j’ai choisi mes guerres. On peut lutter contre la tyrannie, combattre l’injustice, affronter des foules hostiles, mais face au désamour on ne peut rien. Un régime peut s’abattre, un désir ne renaît pas. N’en déplaise aux curés, on ne ressuscite pas les morts. La politique est un combat, l’amour une défaite annoncée.
Ces considérations vous sembleront bien amères, mais elles ne sont que lucides. L’amertume est loin derrière moi. Des années durant je me suis forcée à avaler des couleuvres. Et puis j’ai compris. J’ai compris qu’il m’avait trahie. Pas par méchanceté, car il n’est pas pervers ; pas par malveillance, car il n’a rien d’un intrigant. Juste parce qu’il est ainsi : un homme qui plaît et vit de plaire. Mais ne sont-ils pas tous ainsi, ces êtres de scène, qui se nourrissent de leur propre public ? Au cinéma, la caméra vous sépare du monde réel. Au théâtre, au music-hall, vous vous incarnez le temps d’un concert, d’un récital. Pendant deux heures, vous existez de façon absolue, superlative, multiple. Vous appartenez aux autres et tout le monde vous veut. J’ai beau être femme de gauche, je n’aime pas partager. Un de mes nombreux défauts.