Le Compromis de Long Island

Auteur : Taffy Brodesser-Akner
Editeur : Calmann-Lévy

« Vous voulez connaître une histoire avec une fin horrible ? Le mercredi 12 mars 1980,
Carl Fletcher, l’un des hommes les plus riches de la banlieue de Long Island, fut kidnappé dans l’allée de son garage alors qu’il se rendait à son travail. »

Les Fletcher de Long Island sont l’incarnation d’une certaine idée du rêve américain : l’usine familiale bat son plein et ils sont les propriétaires d’une grande demeure dans cette banlieue aisée proche de New York. Grâce à leur bonne volonté et leur dur labeur, ils connaissent un niveau de richesse et de réussite qui les protégera des aléas de la vie… C’est du moins la théorie.

Mais lorsque Carl, le père et héritier de l’entreprise, est kidnappé contre rançon, une faille apparaît dans cette existence confortable.

S’il est libéré quelque temps après – en apparence sain et sauf –, la violence arbitraire de cet acte aura l’effet d’une bombe à retardement sur lui et ses proches.

À travers l’histoire des différentes générations d’une famille juive depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, Taffy Brodesser-Akner livre un grand roman américain où peurs, désirs, ambitions et mensonges éclatent au grand jour.

24,50 €
Parution : 20 Août 2025
576 pages
ISBN : 978-2-7021-9175-0
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Extrait

Vous voulez connaître une histoire avec une fin horrible ?
Le mercredi 12 mars 1980, Carl Fletcher, l’un des hommes les plus riches de la banlieue de Long Island où nous avons grandi, fut kidnappé dans l’allée de son garage alors qu’il se rendait à son travail.
La matinée avait été tout à fait banale. Carl s’était réveillé, avait pris une douche, s’était habillé et était descendu pour embrasser son épouse Ruth avant de partir, comme à son habitude. Ruth avait déjà servi à leurs deux fils, Nathan et Bernard, leurs bols de corn flakes quand Carl leur tapota la tête avant de quitter la maison pour se retrouver dehors, sous un soleil éclatant. Comme toujours à cette période de l’année, le printemps perçait sous la neige d’une tempête de fin d’hiver qui prenait son temps pour fondre. La lumière l’éblouit un peu : son champ visuel était encore tacheté de marques noires quand il inséra la clef dans la portière de la Cadillac Fleetwood Brougham qu’il avait achetée l’année précédente.
Carl ne releva les bruits de pas dans la gadoue que lorsqu’un homme lui sauta dessus par-derrière et lui passa un sac sur la tête dans un mouvement leste, gracieux, plongeant d’un coup son univers dans les ténèbres. Sous le sac, les sons de sa respiration soudain précipitée et ses grognements étaient amplifiés. Un deuxième homme arracha la clef à la serrure et s’installa au volant tandis que le premier maîtrisait tant bien que mal Carl sur le plancher de la voiture. Il faut dire que Carl était imposant, tandis que les deux hommes semblaient significativement plus petits. Les agresseurs ne durent leur réussite qu’à la sidération de leur victime.
La Cadillac démarra et s’éloigna de l’énorme maison de style néo-Tudor au bord de l’eau, sur la St. James Drive, où résidaient les Fletcher. Elle traversa la petite ville de Middle Rock, prenant à droite pour s’engager sur Ocean Vista Road, longeant les demeures voisines, colossales elles aussi, pour traverser le pont, puis filer juste au niveau de la borne routière marquant 1,8 miles devant la propriété de six hectares et demi où Carl avait grandi et où à cet instant précis, sa mère, assise à son bureau de style Queen Anne, remplissait des chèques destinés à la compagnie d’électricité et à la synagogue. Puis la voiture passa devant la bibliothèque, devant la boucherie, devant le magasin de sport Duplo où la mère de Carl lui avait acheté des rollers quand il était enfant, et où lui-même avait récemment acheté à son fils sa première raquette de tennis ; devant la rue de la synagogue où Carl avait été bar-mitsvé, devant la salle de réception où il s’était marié, devant le ghetto d’ateliers et de garages automobiles s’étendant sur deux pâtés de maisons, pour tourner à droite sur la Shore Turnpike et sortir de Middle Rock qui, jusqu’à cet instant, était principalement connu comme le lieu d’action d’un roman des années 1920 fort connu (et comme lieu de résidence de son auteur), ainsi que comme la première banlieue résidentielle américaine où la population juive dépassa les 50 %.
Ils roulèrent une heure environ avant de s’arrêter, et les ravisseurs tirèrent Carl de la Cadillac pour lui faire monter un petit escalier et le conduire jusque dans un espace caverneux (ainsi que l’écho de leurs pas le lui indiquait), puis lui faire descendre deux volées de marches en acier crantées semblables à celles de l’usine qui lui appartenait, Consolidated Packing Solutions Limited. On le poussa enfin dans un espace confiné qu’il s’imagina être un placard. L’obscurité s’épaissit plus encore. On ne retrouva jamais la Cadillac.

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