La ruche

Auteur : Arthur Loustalot
Editeur : JC Lattès

« Dans la cuisine, assises à la table, les sœurs boivent des bières et du whisky. Un nuage de fumée les entoure – cigarette sur cigarette. Le rideau est tiré et dehors, la rue est silencieuse.
Vous vous souvenez de leurs disputes ? demande Claire.
Oui, on se souvient. Louise jette son mégot dans un cadavre de bière.
Mais vous vous souvenez de ce que ça nous faisait ? Claire insiste.
Cette violence ? dit Marion.
Et ce que ça a laissé en nous, chuchote Claire.
Vous vous souvenez de la première fois où papa est parti ? répète Marion. Vous étiez toutes petites, peut-être quatre et cinq ans.
Je me souviens, dit Louise.
Je me souviens, dit Claire. Ce que je n'arrive pas à voir, c'est l'écart entre ce qu'on a vécu et nos blessures. Bien avant leur rupture, tout était là, d'une manière ou d'une autre, et pourtant…
On ne sait rien de ce qu'on a vécu. »

De l’appartement, le ciel n'est pas visible. Les portes sont ouvertes ou closes selon des règles tacites. Les mots circulent, vibrent et s'épuisent. Les murs de carton filtrent à peine les secrets.
Depuis le départ de son mari, Alice a sombré dans l’enfer le plus noir.

Marion, Claire et Louise, ses trois filles adorées, n’ont plus que leur amour à opposer à cette spirale destructrice. Un amour infini, aussi violent qu’indicible.

16,00 €
Parution : Août 2013
200 pages
ISBN : 978-2-7096-4474-7
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Extrait

C'est le matin dans l'appartement. Dans les chambres closes, elles ne dorment plus. L'entrée est sombre, le verrou a été fermé à double tour. A droite, la première porte est close. C'est la chambre de la mère ; Alice. L'entrée s'élargit comme un palier, dessert la cuisine à gauche, le salon en diagonale, le couloir en face. Cette porte aussi est fermée. C'est le couloir des filles.
La cuisine est étroite. Derrière la fenêtre, l'immeuble d'en face, trop proche, condamne la vue. Les murs jaunes sont couverts d'étagères où les pots s'accumulent. Sur la table ronde, deux cendriers débordent, les assiettes sales sont empilées et dans le placard à balais, le chauffe-eau ronronne. Trois chaises sont alignées contre le mur de droite. De l'autre côté de la table, près de l'évier, une seule leur fait face.
Les rideaux en velours tirés dans le salon masquent la baie vitrée. Le canapé a été poussé au milieu de la grande pièce vide, sur le faux parquet beige. Le mur du fond est caché par les bibliothèques, au centre, la télévision trône.
Sur le vaisselier du palier s'entassent les factures et le courrier des derniers jours. Un placard dans un renfoncement abrite un aspirateur et une boîte à outils. La première porte dans l'entrée s'ouvre, celle du couloir des filles est toujours close. Alice se tient devant.
Elle porte son pyjama. Une gourmette au poignet gauche qu'elle secoue quand elle réfléchit. Les cheveux noirs en ligne sur les omoplates, la frange coupée droit, le teint mat et le nez aigu - Alice confiait en riant aux autres mères qui attendaient à la sortie de l'école : mes filles me disent que je ressemble à Cléopâtre ! Le nez proche de la porte, elle retrousse les manches de son pyjama, secoue sa gourmette; elle écoute.
Derrière, à travers les cloisons des chambres, ses filles chuchotent. Alice entend son prénom. Une serrure est déverrouillée, trois pas soudains sur la moquette, une porte qu'on ouvre - une autre se ferme ailleurs. Et puis la chasse d'eau est tirée. Dans la cuisine, le chauffe-eau s'actionne. Il ventile et couvre les voix. Sur la table, le dîner de la veille n'a pas été rangé, et la pendule fait tic, tac. La porte des cabinets s'ouvre, se ferme, les pas traversent de nouveau le couloir ; une autre porte s'ouvre et se ferme - la serrure est verrouillée. Le chauffe-eau se tait, la pendule marque le temps. Et les murmures reprennent. Encore, elle entend son prénom ; des éclats de rire. Alice agrippe la poignée de la porte et l'entrouvre sans bruit. Le long couloir est vide et toutes les portes sont closes. La salle de bains, au bout, est dans le noir. L'appartement est silencieux, sauf la pendule, et les murmures. Alice se ronge les ongles. Elle n'entend plus rien, passe et ferme la porte derrière elle. Sur la droite, trois flaques lumineuses sous les portes en enfilade tachent la moquette grise. Les chambres sont occupées par ordre de naissance. Au fond, dans la salle de bains invisible, le robinet goutte sur l'émail du lavabo. Régulier, le son synthétique révoque - personne ne va le réparer. Il n'est plus là pour réparer.

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