Le Monde selon Garp

Auteur : John Irving
Editeur : Points

Le romancier est un médecin qui ne s’occuperait que des incurables… et nous sommes tous des incurables.

Jenny Fields ne veut pas d’homme dans sa vie, mais elle désire un enfant. Ainsi naît Garp. Il grandit dans un collège où sa mère est infirmière. Puis ils décident tous deux d’écrire, et Jenny devient une icône du féminisme. Garp, heureux mari et père, vit pourtant dans la peur : dans son univers dominé par les femmes, la violence des hommes n’est jamais loin… Un livre culte, à l’imagination débridée, facétieuse satire de notre monde.

Né en 1942, John Irving est l’un des plus grands romanciers américains de sa génération. Le Monde selon Garp, partiellement autobiographique, a connu un succès mondial et a été porté à l’écran.

Traduction : Maurice Rambaud
9,90 €
Parution : Juin 2020
Format: Poche
784 pages
ISBN : 978-2-7578-8489-8
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La presse en parle

Il prend à bras-le-corps les problèmes de la violence, de la sexualité, de la famille, de la libération des femmes et compose un livre hilarant sur un monde fou.
Le Point

Extrait

L’hôpital Mercy de Boston
La mère de Garp, Jenny Fields, fut arrêtée en 1942 à Boston, pour avoir blessé un homme dans un cinéma. Cela se passait peu de temps après le bombardement de Pearl Harbor par les Japonais, et les gens manifestaient une grande tolérance envers les militaires, parce que, brusquement, tout le monde était militaire, mais Jenny Fields, pour sa part, restait inébranlable dans l’intolérance que lui inspirait la conduite des hommes en général et des militaires en particulier. Dans le cinéma, elle avait dû changer trois fois de place, mais, le soldat s’étant chaque fois rapproché un peu plus, elle avait fini par se retrouver le dos contre le mur moisi, avec, entre elle et l’écran, un stupide pilier qui lui bouchait pratiquement la vue ; aussi avait-elle pris la décision de ne plus bouger. Le soldat, quant à lui, se déplaça une nouvelle fois et vint s’asseoir près d’elle.
Jenny avait vingt-deux ans. Elle avait plaqué l’université peu après avoir commencé ses études, puis était entrée dans une école d’infirmières, où elle avait terminé première de sa classe. Elle était heureuse d’être infirmière. C’était une jeune femme à l’allure athlétique et aux joues perpétuellement enluminées ; elle avait des cheveux noirs et lustrés, et ce que sa mère appelait une démarche virile (elle balançait les bras en marchant) ; sa croupe et ses hanches étaient si fermes et si sveltes que, de dos, elle ressemblait à un jeune garçon. Jenny estimait, pour sa part, qu’elle avait les seins trop gros ; son buste provocant lui donnait, selon elle, l’air d’une fille « facile et vulgaire ».
Elle n’était rien de tel. En fait, elle avait plaqué l’université le jour où elle s’était rendu compte que ses parents, en l’envoyant à Wellesley, avaient eu pour objectif essentiel de la pousser à dénicher, puis à épouser un monsieur bien. C’étaient ses frères aînés qui avaient insisté pour qu’elle entre à Wellesley, en assurant à leurs parents que les jeunes femmes sorties de Wellesley jouissaient d’une réputation flatteuse et passaient pour d’excellents partis. Jenny avait l’impression que ses études n’étaient rien d’autre qu’une façon polie de gagner du temps, comme si elle avait été une vache mise en condition pour recevoir la canule de l’insémination artificielle.
Elle avait choisi de se spécialiser en littérature anglaise, mais, lorsqu’il lui apparut que ses condisciples se préoccupaient avant tout d’acquérir la sophistication et l’aplomb indispensables pour manier les hommes, elle n’eut aucun scrupule à abandonner la littérature au profit des études d’infirmière. À ses yeux, les études d’infirmière avaient le mérite de déboucher sur une pratique immédiate, et c’était bien là le seul et unique motif qui l’avait poussée dans cette voie. (Plus tard, dans sa célèbre autobiographie, elle écrivit que trop d’infirmières ne font que parader pour accrocher les médecins ; mais, bien sûr, elle n’était plus infirmière.)
Elle aimait l’uniforme simple et dépourvu de fantaisie ; le corsage minimisait ses seins ; les chaussures étaient confortables et convenaient à sa démarche énergique. Lorsqu’elle était de service de nuit à l’accueil, elle avait du temps pour poursuivre ses lectures. Elle ne regrettait pas la compagnie des étudiants, qui se montraient maussades et déçus lorsqu’une femme refusait leurs avances, ou bien méprisants et hautains lorsqu’elle les acceptait. À l’hôpital, elle voyait davantage de soldats et d’ouvriers que d’étudiants, et leurs visées avaient le mérite d’être plus franches et moins prétentieuses ; si on leur cédait un peu, du moins manifestaient-ils quelque reconnaissance à la perspective de vous revoir. Puis, un beau jour, il n’y eut plus que des soldats – tous aussi vaniteux que des étudiants – et Jenny Fields cessa de s’intéresser aux hommes.
« Ma mère, écrirait plus tard Garp, était une louve solitaire. »

Informations sur le livre