Vie et mort de l'homme qui tua John F. Kennedy

Auteur : Anne-James Chaton
Editeur : P.O.L
Sélection Rue des Livres

Le 22 novembre 1963, à 10h45 GMT, Lee Harvey Oswald abat de trois balles de fusil Carcano le 35ème président des Etats-Unis d’Amérique John Fitzgerald Kennedy. Sept jours plus tard, Lyndon Johnson crée la commission Warren, chargée de faire la lumière sur les circonstances de cet assassinat. Elle rend ses conclusions en septembre 1964 : 888 pages extraites des 26 volumes d’auditions et de pièces à conviction accumulées.
Pour écrire cette biographie romanesque de Lee Harvey Oswald, Anne-James Chaton a dépouillé les minutes des interrogatoires menés par la commission, ne retenant que les témoins ayant directement connu Oswald ou assisté à l’assassinat, soit 267 entretiens, plus de 10.000 pages. Le roman est exclusivement construit à partir de cette base documentaire. Les informations recueillies par l’examen de cette archive vivante sont méticuleusement prélevées et organisées afin de reconstituer la vie de Lee Harvey Oswald sur la seule base de ces témoignages. Le livre prend la forme d’une biographie mais très vite l’oralité bouscule la narration. Les voix des témoins surgissent dans le texte. Tout s’accélère.
Jusqu’à faire entendre les dialogues réels, ceux des témoignages. La dimension sonore du livre s’affirme encore avec la retranscription des enregistrements radios des voitures de police au moment de l’assassinat. Plus le lecteur s’approche d’une fin qu’il sait inéluctable et plus le phrasé du récit se dépouille pour laisser place à la parole vivante des témoins.
La dernière partie du livre, consacrée aux interrogatoires de polices dans le commissariat de Dallas, tient quasi exclusivement à la restitution des séances d’identification et des débats entre le commissaire de police et l’assassin.
La biographie a lentement muté en thriller, puis en tragédie. Le réel cède le pas à la possibilité de la fiction.

18,90 €
Parution : Mars 2020
256 pages
ISBN : 978-2-8180-4770-5
Fiche consultée 164 fois

Extrait

Lee naît à La Nouvelle-Orléans le 18 octobre 1939. Sa mère Marguerite lui donne le prénom du général en chef des armées des États confédérés et héros sudiste de la guerre de Sécession. Lee ne connaîtra jamais son père, celui-ci a succombé à une crise cardiaque deux mois avant sa naissance. L’enfant sera élevé par sa mère qui a déjà deux fils, Robert et John Edward. L’aîné, John Edward, est le fruit d’un précédent mariage. Le couple a divorcé trois ans après, alors qu’elle était enceinte de six mois. Le père ne se préoccupera jamais de l’éducation de John même s’il versera une pension alimentaire jusqu’à ses dix-sept ans.
Robert a cinq ans lorsque naît son petit frère. La famille vit difficilement dans une petite maison de La Nouvelle-Orléans. Marguerite a longtemps enchaîné les jobs avant de décrocher un poste de directrice dans un magasin de bonneterie. Le quotidien s’est amélioré mais elle n’a plus une minute à elle pour s’occuper des enfants. Elle a placé Robert et John Edward dans une école catholique située dans la banlieue de la ville, ils ne rentrent à la maison que pour le week-end. Lee a été confié à sa tante Lillian, il sera éloigné de ses frères durant deux ans.
Lee est un enfant précoce. À l’école, il s’ennuie. Il ne partage pas les préoccupations des élèves de sa classe. Il aime les cartes de géographie qu’il étudie pendant des heures. Il apprend par cœur les distances entre les grandes capitales et si, lors d’une discussion entre adultes, la conversation en vient à porter sur un voyage, vous pouvez l’entendre immédiatement donner les distances parcourues. Il se passionne aussi pour l’histoire et dévore des livres souvent trop sérieux pour son âge. À neuf ans, alors qu’il est en cours, Lee prétexte une urgence pour appeler sa mère au travail et lui apprendre, avant tout le monde, la naissance du bébé de la reine Elizabeth II, futur roi d’Angleterre. Si Lee regarde les dessins animés à la télévision, il ne manquerait pour rien le journal d’information et peut changer de chaîne au beau milieu d’un divertissement pour prendre connaissance des affaires du monde.
Lee connaît tous les animaux, leurs habitudes alimentaires, leurs rythmes de sommeil. Cette passion lui vaudra des difficultés lorsqu’à New York il fera l’école buissonnière pour arpenter les allées du zoo du Bronx.
Le sport n’est pas l’affaire de Lee. Il enfile quelquefois un gant de baseball et fréquente, de temps à autre, les bains de la piscine municipale, mais son attention se focalise sur des activités qu’il peut pratiquer en solitaire. Et s’il lui arrive de jouer au Monopoly, il préfère de loin s’isoler dans sa chambre et classer sa collection de timbres. Quand ses camarades se retrouvent à la sortie de la classe pour taper dans un ballon, il rentre à la maison et se plonge dans ses livres d’astronomie en attendant, la nuit venue, de monter sur le toit pour observer les étoiles avec ses jumelles.
En 1944, Edwin Ekdahl, le compagnon de Marguerite, est nommé à la Texas Power and Light de Dallas. Toute la famille déménage et s’installe dans une belle maison de pierres blanches à deux étages sur Victor Street. Robert et John Edward iront à l’école primaire Davy Crockett avant d’intégrer, l’année suivante, l’Académie militaire de Chamberlain-Hunt. Marguerite veut faire de ses fils des Marines, comme leur père et leur grand-père avant eux. L’établissement coûte cher et le beau-père des enfants ne veut pas prendre en charge ces frais. Qu’importe. Marguerite vient de vendre la maison de La Nouvelle-Orléans et il lui reste la moitié des 10000 $ qu’elle a perçus de l’assurance vie de son défunt époux. Robert et John Edward resteront à l’école les trois années suivantes, sans même revenir pour le week-end. Lee ne verra ses frères qu’aux fêtes de Noël, leur mère les ayant inscrits à des sessions d’exercices pendant les vacances d’été.

Durant cette période, la scolarité de Lee sera très perturbée. La mission d’Edwin l’oblige à des déplacements incessants. Marguerite a dû quitter son emploi et suit dans ses périples celui qui deviendra bientôt son époux. Le couple parcourt le pays de long en large. Ce sera Fort Worth, puis Boston, l’Arizona et enfin retour au Texas, dans la petite ville de Benbrook en 1947. Edwin s’entend très bien avec les garçons. Il les emmène au zoo, à la piscine, au cinéma. Il joue au ping-pong avec eux, au croquet. Ils vont à la pêche tous ensemble. Il n’oublie jamais un anniversaire et garnit le sapin de Noël d’une attention pour chacun. Mais les disputes entre les époux sont de plus en plus fréquentes. Marguerite soupçonne son mari d’infidélités. Un soir de l’été 1947, elle entasse les enfants dans la voiture et prend la direction du centre-ville. Elle se gare devant une petite maison, monte à l’étage et demande à Robert de sonner à un appartement, prétextant la remise d’un télégramme. Lorsque la porte s’entrouvre, Marguerite s’engouffre à l’intérieur. Elle y trouve une jeune femme vêtue d’une simple nuisette et son mari assis dans le salon à moitié dénudé. Le divorce sera prononcé un an plus tard, en 1948, après seulement 3 ans de mariage. Lee en sera très affecté. L’enfant de huit ans avait trouvé en Edwin ce père qu’il n’a jamais eu.
À la suite de cette séparation, la situation matérielle de la famille se dégrade. Marguerite n’a pas pu rester à Benbrook. Elle a vendu la maison et en a racheté une à Fort Worth. Mais l’endroit n’est pas assez spacieux. Lee dort avec sa mère, les deux autres garçons sur un canapé-lit installé dans la véranda. Marguerite ne peut faire face seule aux coûts de scolarité des deux aînés. Elle enchaîne les emplois mal payés. John Edward a seize ans. Il a trouvé un job dans un magasin de chaussures. Des 25 $ qu’il gagne par semaine, il en reverse 15 à sa mère pour subvenir aux dépenses de la maison. Tout au long des cinq années que la famille vivra à Fort Worth, Lee sera laissé à lui-même, sans surveillance. Marguerite effectue des journées interminables. Elle ne peut pas s’occuper de son cadet et le voit se renfermer sur lui-même. Si l’enfant poursuit une scolarité normale, il est très seul. À son retour de l’école, il s’isole dans sa chambre et se plonge dans ses livres d’histoire. Il n’invite jamais de camarades à la maison et passe ses fêtes d’anniversaire seul avec sa mère.
Lorsqu’à l’été 1952, Robert annonce à Marguerite qu’il va rejoindre le Corps des Marines, c’est un soulagement. John Edward a intégré la garde côtière deux ans plus tôt. Avec le départ de Robert, elle n’aura plus que le jeune Lee à sa charge, lequel, pour la première fois de sa vie, à l’âge de treize ans, pourra profiter d’une chambre à soi. Mais le départ de Robert est avant tout le signal pour Marguerite qu’il est temps pour elle de changer de vie et de s’occuper enfin de l’éducation de Lee. Quand en 1953, John Edward est nommé dans l’État de New York, Marguerite y voit l’opportunité de reconstruire une cellule familiale autour de son plus jeune fils. Elle précipite son déménagement et s’installe chez son aîné, le temps pour elle de trouver un emploi et de prendre un logement.
John Edward est heureux de retrouver Lee qu’il n’a que très peu côtoyé ces dernières années. Il lui fait découvrir New York, le musée d’Histoire naturelle, la boutique Polk’s Hobby sur la 5e Avenue, Staten Island, la statue de la Liberté. Les frères se retrouvent et s’entendent très bien. Lee reprend le chemin de l’école. Marguerite l’a inscrit dans une institution luthérienne où vont ses cousins. L’enfant a été baptisé dans la foi protestante, même si la famille n’est pas très pratiquante.
Mais les rapports entre Marguerite et sa belle-fille, Marjory, s’enveniment très rapidement. Celle-ci n’a pas apprécié de devoir renvoyer sa mère de la maison pour faire de la place à sa belle-mère et à son rejeton. Elle est jeune maman et ne supporte pas que Lee s’approche de son nourrisson. Elle ne cesse de le réprimander. Un jour que Lee s’amuse à tailler un morceau de bois avec un couteau de poche, Marjory s’emporte contre l’adolescent, elle lui reproche de mettre du désordre. Excédée par l’indifférence de Lee à ses remarques, elle le frappe, puis l’accuse de l’avoir menacée avec un couteau. De retour du travail, John Edward prend son frère à part et le questionne sur ce qu’il s’est passé. Lee est très virulent. Il prend fait et cause pour sa mère. John Edward découvre un autre enfant, un adolescent qui peut être menteur et se montrer violent. Le ton monte. Marjory exige de son mari qu’il chasse sa mère de la maison. Marguerite et Lee devront partir. Le lien entre les deux frères sera brisé. Il ne se rétablira jamais.
La mère et le fils s’installent dans le Bronx, dans un petit appartement en sous-sol. L’endroit est minuscule. Il n’y a qu’une seule pièce. Lee dort dans le lit et sa mère sur un canapé. Marguerite a dû retirer Lee de l’établissement luthérien, trop cher et trop éloigné. Elle l’a inscrit à l’école publique du quartier. Mais Lee ne s’y plaît pas. Le déménagement dans une ville qu’il ne connaît pas et la rupture brutale avec son demi-frère l’ont perturbé. Il a perdu tous ses repères en seulement quelques semaines. Ses professeurs se plaignent de ses absences répétées. Après à peine un mois de scolarisation, il a été arrêté à trois reprises, les policiers l’ont retrouvé à chaque fois dans les allées du zoo du Bronx. Et à chaque fois, Marguerite a dû s’expliquer devant le conseil d’administration de l’école. La troisième arrestation sera celle de trop. Marguerite est convoquée avec son fils devant le tribunal pour enfants de la ville de New York. L’affaire est expédiée en quelques minutes. Deux officiers de police se saisissent de Lee et l’emmènent dans un bureau. Ils lui confisquent la bague des Marines que son frère Robert lui avait offerte, les broutilles qui traînent dans ses poches, placent le tout dans un sachet qu’ils remettent à sa mère, puis annoncent à cette dernière que son fils sera placé dans une école de redressement. Ils donnent à Marguerite une feuille sur laquelle sont inscrits les jours et les heures de visite et emmènent Lee.
Marguerite est horrifiée. Elle était loin d’imaginer qu’un enfant puisse être soumis à un tel traitement pour un problème d’absentéisme. Sa première visite au Warwick Home for Boys, un vieux bâtiment cerné de grillages situé à Brooklyn, va achever de la convaincre de faire sortir son fils au plus vite de cet enfer. L’endroit est sinistre. Les règles y sont dignes de celles des pénitenciers pour criminels. Marguerite est fouillée à chaque fois qu’elle rend visite à son fils. Les gardiens vident son sac. Ils retirent jusqu’aux papiers d’emballage des bonbons qu’elle a apportés au motif qu’elle aurait pu y glisser des cigarettes ou des stupéfiants. Un policier surveille les parloirs, une seule grande pièce où s’entassent les familles. À chaque entrevue, Lee est en pleurs. Il est terrifié. Il n’a que treize ans et côtoie des adolescents violents. Lee est un enfant troublé, mais il n’a jamais fait montre d’aucune agressivité. L’examen clinique et psychiatrique auquel il sera soumis à la demande de l’administration pénitentiaire révélera des comportements que sa mère s’obstine à ignorer.

Le praticien en charge d’effectuer les tests ne trouve rien à redire à propos de la condition physique de l’enfant. En revanche, il pointe une fragilité psychologique. Lors de leurs entretiens, Lee paraît tendu et se révèle taiseux. Il n’aime pas parler de lui et se coupe systématiquement des garçons de son âge. Le médecin diagnostique une anxiété intense, des sentiments de malaise et d’insécurité comme les principales raisons de ses tendances au retrait et à ses habitudes solitaires. Il a en face de lui le produit d’une maison brisée, son père est mort avant sa naissance, ses deux frères aînés ne manifestent aucun intérêt pour lui, sa mère, empêtrée dans des difficultés matérielles, ne peut lui consacrer toute l’attention qu’un enfant de son âge est en droit d’attendre. Lee exprime cette détresse au médecin. Il se dit très fâché contre sa mère et avoue l’avoir frappée à plusieurs reprises. Il lui en veut de rentrer tard le soir. Il lui reproche les dîners préparés à la va-vite, cette vie de famille inexistante. Le psychiatre note la difficulté de percer le mur émotionnel derrière lequel se cache Lee. Quant à l’absentéisme, il l’attribue à ses capacités intellectuelles supérieures, à l’ennui que Lee doit éprouver en salle de classe au contact de jeunes de son âge préoccupés par les filles et les jeux de société quand le jeune garçon préfère se plonger dans la lecture des magazines et regarder des documentaires historiques.
Dès sa première visite au Warwick Home for Boys, Marguerite a fait appel aux services d’un avocat. L’homme de loi s’est dit révolté par cette situation mais cela lui prendra six semaines pour obtenir une audience auprès du juge du tribunal. Lee restera emprisonné pendant toute cette période. Le jour du jugement, l’adolescent n’est pas au bout de ses peines. Si l’avocat obtient sa libération, il devra pointer une fois par semaine auprès d’un agent de probation nommé par le tribunal. Marguerite est révoltée. Elle s’emporte contre l’agent du ministère public. Elle ne comprend pas une telle sévérité à l’égard d’un garçon qui n’a d’autre tort que d’avoir fait l’école buissonnière. Même si elle a trouvé un autre établissement pour Lee, sa décision est prise, ils quitteront New York et repartiront en Louisiane. Là-bas, Marguerite croit pouvoir offrir à son fils la stabilité qui lui manque, il y retrouvera sa tante Lillian, ses cousins et ses repères dans une ville qu’il connaît bien.

Informations sur le livre