La prof
Chaque matin, Eve se lève et embrasse tendrement son mari, Nate. Ils partent au travail ensemble, au lycée où elle enseigne les mathématiques et où Nate est professeur d'anglais. Une vie parfaite, réglée comme du papier à musique. Tranquille.
Pourtant, l'année dernière, l'école a été secouée par un scandale. Un professeur a été licencié parce qu'il aurait eu une liaison avec Addie, une élève. Et cette année, cette élève se retrouve dans la classe d'Eve et dans celle de son charmant mari.
Comme tout le monde, Eve sait que l'on ne peut pas faire confiance à la jeune fille, une menteuse invétérée qui fait du mal autour d'elle. Et quand la prof commence à comprendre qui est véritablement Addie et ce qu'elle cherche à cacher, il est déjà trop tard...
Extrait
On me dit souvent que j’ai de la chance.
J’ai une belle maison, une carrière bien remplie. Et je reçois constamment des compliments sur mes chaus-
sures. Toutefois, je ne me fais pas d’illusions. Lorsque les gens me parlent de ma chance, ils ne font pas allusion à ma maison, à ma carrière ou même à mes chaussures. Ils parlent de mon mari. De Nate.
Lequel fredonne en se brossant les dents. Il m’a fallu presque un an à me brosser les dents à côté de lui tous les matins pour m’apercevoir que c’est toujours la même chanson. All Shook Up d’Elvis Presley. Quand je l’ai questionné là-dessus, il a ri et m’a raconté ce que sa mère lui avait appris : la chanson dure exactement deux minutes, soit la durée pendant laquelle on est censé se brosser les dents.
J’ai commencé à détester cette rengaine de toutes les fibres de mon être.
La même fichue chanson tous les matins depuis huit ans de mariage. Je pourrais probablement résoudre le problème en évitant de me brosser les dents à la même heure que lui, mais le matin, nous tâchons d’optimiser l’utilisation de la salle de bains étant donné que nous partons à la même heure pour le même endroit.
Trois mois plus tôt
Nate crache le dentifrice, puis se rince la bouche. J’ai déjà fini, pour ma part, mais je m’attarde. Il s’empare du flacon de bain de bouche et se gargarise avec le liquide bleu vif.
—Je ne sais pas comment tu supportes ce truc, commenté-je. Je les trouve acides, ces bains de bouche.
Il recrache dans le lavabo et me sourit. Il a des dents parfaites. Droites et blanches, d’une nuance si éclatante qu’elle vous oblige à détourner le regard.
— C’est rafraîchissant. La propreté vient juste avant la sainteté, comme on dit.
Je frissonne.
— En tout cas, c’est dégoûtant. Ne m’embrasse pas après t’être gargarisé avec ce machin.
Nate s’esclaffe, et en effet, c’est assez drôle, vu qu’il m’em- brasse rarement de toute façon. Un vague bisou sur la joue lorsque nous nous quittons le matin, un lorsque nous nous retrouvons le soir, et un avant de nous coucher. Trois baisers par jour. Notre vie sexuelle est tout aussi réglementée : le premier samedi de chaque mois. Avant, c’était tous les same- dis, puis c’est passé à un samedi sur deux, et depuis deux ans, nous nous sommes installés dans le schéma actuel. Je suis tentée de programmer la séance comme un rendez-vous récurrent dans l’agenda partagé de nos iPhone.
J’attrape le sèche-cheveux pour éliminer l’humidité rési- duelle de mes cheveux, tandis que Nate passe une main dans les siens, bruns et courts, puis entreprend de se raser. En nous observant tous les deux dans le miroir, j’aurais bien du mal à nier que Nate est de loin le plus séduisant de nous deux. Il n’y a pas photo.
Mon mari est incroyablement beau. Si un réalisateur tournait un film sur sa vie, il devrait choisir entre toutes les stars les plus sexy d’Hollywood pour tenir son rôle. Outre ses cheveux épais d’un chocolat profond, il a des traits ciselés, un adorable sourire en coin et, depuis qu’il a acheté le jeu d’haltères qu’il garde dans notre sous-sol, un torse en train de devenir très musclé.
Moi, en revanche, je suis résolument ordinaire. J’ai eu trente ans pour l’accepter, et j’admets bien volontiers que mes yeux couleur boue n’auront jamais la lueur enjouée de ceux de Nate, que mes cheveux brun terne ne feront jamais que pendre mollement sur mon crâne, et qu’aucun de mes traits n’a tout à fait la bonne taille pour mon visage. Je suis trop maigre, tout en angles dangereusement aigus sans aucune courbe à proprement parler. Si quelqu’un devait réaliser un film sur ma vie... Eh bien, ce n’est même pas la peine d’en parler, l’idée est absurde. On ne fait pas de films sur les femmes comme moi.
