Fils de la providence

Auteur : Herbjorg Wassmo
Editeur : Gaïa

Benjamin, le fils de Dina, est témoin à 11 ans d’un meurtre perpétré par sa mère. Témoin du drame et de la cruauté, il se rend coupable de silence. Petit garçon solitaire et tourmenté, Benjamin erre à Reinsnes, guette le retour des pêcheurs partis aux Lofoten, cherche à communiquer avec une Dina inaccessible, se choisit un père en la personne du mesuré Anders qui le reçoit comme un cadeau.

Voici donc l’histoire du fils de Dina, de son adolescence et de son passage à l’âge adulte, de son rapport difficile avec les femmes et une sexualité qu’il découvre débordante, aussi cruel et orgueilleux que sa mère, et pourtant tellement maladroit. Le parcours romanesque d’un jeune homme héritier de passions exclusives dans l’Europe du début du siècle dernier.

24,40 €
Parution : Septembre 2011
572 pages
ISBN : 978-2-8472-0204-5
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Extrait

Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur.

(Ecclésiaste, 1, 18)

Le gamin était au milieu de la cour, les yeux fous. Il criait quelque chose. Dans une sorte de fureur. Ils levèrent d'abord la tête. Étonnés. A la cuisine et à l'étable. Dans l'annexe et les communs. Ils connaissaient la voix sans la reconnaître.
Stine fut la première à accourir. Elle fut la première à saisir les mots. Petit à petit, ils se retrouvèrent tous là, autant qu'ils étaient. Y compris Mère Karen et Jacob, sortis de leur linceul et de leurs faits d'arme, depuis longtemps tombés dans l'oubli. Mais ils ne disaient rien, n'ayant pas droit à la parole.
«Le fusil lapon a touché le Russe ! Le Russe... à la tête ! À la tête !»
Les mots se répercutaient jusque dans les collines et les montagnes. Lui revenaient comme pour le prévenir, le calmer. Le faire taire. Mais il les répétait, de plus en plus frénétique. Jusqu'à ce que Stine l'entoure de ses bras et le serre contre elle.
C'est ainsi que tout le monde l'apprit. Le gamin courait devant les hommes pour montrer le chemin. Il criait, racontait et pleurait. Que le Russe avait tout à coup disparu à travers les arbres. Que lui, il avait grimpé sur un rocher pour voir où il se cachait. Que c'était alors qu'il avait entendu partir le coup. Et avait vu le Russe s'écrouler dans la bruyère. Le fusil était couché là aussi. Dina lui avait demandé de courir chercher de l'aide. Mais personne ne pouvait aider le Russe. Il avait un trop grand trou dans la tête.

Rachel, dans l'Ancien Testament, avait donné au fils qui lui coûta la vie le nom de Benoni : fils de la douleur. Mais Jacob, le vieux patriarche, l'avait appelé Benjamin : fils de la Providence.
Personne n'avait jamais su pourquoi Dina avait donné à son fils le nom de Benjamin. Et personne ne pouvait savoir quelle aurait été l'opinion de Jacob Gronelv, qui, d'après les registres, en était le père. Mais tout le monde pouvait voir que ce garçon râblé et de taille moyenne avait les yeux d'un vieillard et le front barré de sillons profonds.
On admirait son bon entendement, bien que sa soif de savoir soit épuisante pour ceux qui devaient répondre à toutes les questions qu'il posait sur toutes choses. Qu'elles appartiennent au monde terrestre, maritime ou de l'au-delà.
On ne pouvait quand même pas lui reprocher d'avoir été nourri et élevé par une Lapone, elle-même autrefois condamnée pour envoûtement et meurtre. Ni que sa mère inspire le respect et la crainte plutôt qu'autre chose. Respect pour son don à séduire Mammon et à tout faire fructifier. Crainte parce que son regard couleur d'eau obligeait à ramper. Par beau temps, en mer, ses yeux pouvaient prendre un doux reflet verdâtre. Mais si le ciel était à l'orage, l'iris de ses yeux restait de glace.

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