35 ans (dont 15 avant Internet)

Auteur : Nora Hamzawi
Editeur : Editions Mazarine
En deux mots...

Avec l'autodérision et la lucidité qui la caractérisent, Nora continue à 35 ans d'explorer l'époque et d'en subir les absurdités. Un portrait-robot sans fard de nos névroses à tous !

18,00 €
Parution : Mars 2021
224 pages
ISBN : 978-2-8637-4498-7
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Présentation de l'éditeur

Avec l'autodérision et la lucidité qui la caractérisent, Nora continue d'explorer l'époque et d'en subir les absurdités.
Des cigarettes en chocolat à la clope électronique, du Nokia 3310 à l’Iphone, de Snake à Instagram, elle nous livre le récit de son passage à l’âge adulte sans passer par la case Tinder.
Partagée entre l’envie d’avoir des likes et la nostalgie du temps d’avant les réseaux sociaux, elle se demande comment évoluer sereinement dans un monde où tout ce qui nous entoure n’existait pas au moment de se construire.
Parfois mélancolique, souvent acide et toujours drôle, Nora dresse un portrait-robot sans fard de nos névroses à tous.

Hyperactive, Nora Hamzawi partage ses humeurs sur tous les fronts (France Inter, Quotidien, Grazia et Vanity Fair) et son nouveau spectacle décapant cartonne à travers la France.
Après le succès de 30 ans (10 ans de thérapie), aux éditions Mazarine (puis Marabout), elle a sélectionné le meilleur de ses chroniques qu’elle enrichit de nombreux inédits, illustrées par Thibault Milet.

Extrait

Portrait-robot

Je l’ai déjà dit, mais il se trouve que ça n’a pas changé, je déteste les présentations. C’est aussi pour ça que la première page d’un journal, c’est toujours un peu compliqué. On a du mal à se définir, à être dans la sincérité, à faire le choix des premiers trucs qu’on va dire sur soi. Depuis que je suis toute petite, je ressens la même chose. Je me souviens de mon premier journal intime, une amie de ma mère me l’avait rapporté du Japon, il avait des dessins super mignons sur la couverture, des petits crocodiles qui se baignaient et qui mangeait des glaces, je me souviens même de sa matière, une sorte de plastique matelassé qu’on a immédiatement envie de sentir. Ça sentait d’ailleurs hyper bon. Une odeur de plastique chimique que les moins de 30 ans ne peuvent pas aimer, une odeur liée à une époque où tout ce qui paraît très mauvais doit forcément être très très bon.
Illustration
D’ailleurs, si je devais développer, je crois que c’est comme ça que je définirais les années 90, une sorte de transgression cheap du mauvais goût, des choses toxiques, mais vraiment on trouve ça super et très beau. De toute façon, quand on porte des Buffalos aux pieds et des macarons sur la tête, on est forcément un peu le super héros de sa propre instabilité mentale.

Mon journal avait un cadenas avec une serrure en forme de cœur et un trousseau de clés tellement mignon. Je crois que ma fascination pour le Japon a débuté à ce moment-là. Qui pouvait bien fabriquer des objets aussi parfaits ? Là-bas, tout devait forcément être merveilleux.
Je me souviens que je trouvais ça hyper intimidant de raconter ma vie et mes secrets sans avoir de réponse. À l’époque, je n’avais évidemment aucune idée que j’allais reproduire cette même dynamique, des années plus tard, chez le psy…
Du coup, quand j’écrivais, je pensais à la personne qui pourrait potentiellement me lire : je m’étais inventé une sorte de double que je jugeais plus romantique, plus torturée, plus fantaisiste que moi, une petite fille vraiment très mature pour ses 9 ans.
Au fil des années et des carnets, j’avais développé plusieurs doubles, selon différents critères qui me plaisaient à différentes étapes de ma vie, la seule constante était que le personnage devenait de plus en plus dramatique – sans doute le chemin vers l’adolescence… Il y a même eu ce carnet que j’avais décidé d’écrire entièrement en alexandrins, un projet que j’avais lâché à la page 2.
Aujourd’hui encore, je me demande bien qui je suis, et pourquoi je fais le choix de montrer une chose plutôt qu’une autre.
En réalité, j’ai toujours été fascinée par le fait qu’on ne se voit pas vraiment comme on est, qu’on renvoie une image différente à chacun, et que nos complexes n’appartiennent qu’à nous et à notre petite histoire. Je trouve ça rassurant. J’aime bien aussi l’idée que, selon comment on bouge, comment on se sape, comment on s’exprime, un imaginaire se crée autour de nous, qui peut être complètement différent de la réalité.

Et moi-même qui adore m’imaginer la vie des gens que je croise dans la rue ou dans le métro, je peux carrément me tromper. Il y a quelques années, je me souviens qu’après avoir bu un coup de trop j’avais dit à un mec en flirtant un peu, super arrogante : « Ah ouais, mais, toi, tu dois être le genre de mec qui surfe à Biarritz… » Il m’avait coupée net en me répondant qu’il ne savait pas nager. Depuis cet épisode, je garde mes petits films pour moi et je ne tire plus aucune conclusion sur les hommes qui portent des bracelets brésiliens.

Un jour, chez le coiffeur, j’ai expérimenté la situation inverse, j’ai appris sans rien demander que je n’étais pas du tout celle que je pensais. Je terminais une conversation téléphonique avec la nounou de mon fils quand le coiffeur, « choqué », me balance : « C’est ouf, c’est complètement ouf, je t’aurais JAMAIIIIIIS imaginée maman. Pour moi, t’étais LA vieille fille qui vit seule avec son chat et qui galère. »
J’aurais aimé lui dire que le concept de vieille fille était quand même sacrément daté et aussi qu’on peut galérer même quand on a un enfant, mais j’ai eu peur qu’il argumente : « Non, mais tu vois ce que je veux dire, avec tes cheveux gras et ton look de merde… »
Alors j’ai juste ri bêtement en lui disant que, moi aussi à une époque, j’imaginais que toutes les mères portaient des tailleurs, mais qu’il n’avait pas tort à 100 % vu que j’avais bien un chat.
Pendant qu’il s’attaquait à ma frange, il continuait de remuer sa tête à droite, à gauche en me répétant : « J’en reviens pas, j’en reviens pas. » J’aurais voulu qu’il en revienne, ne serait-ce que pour éviter de TROP couper ! Il a posé ses ciseaux et, tout en s’adressant à moi dans la glace, il a enchaîné : « C’est ouf, tu renvoies tellement une image de meuf qui picole et qui galère. » OK, donc, c’était la deuxième fois qu’il utilisait le mot « galère » et, maintenant, en plus, j’étais une pochtronne. Il me disait ça avec tellement d’aisance et de spontanéité que je me demandais même si, pour lui, ce n’était pas un compliment. Comme si c’était moi qui l’avais cherché.
Sans rapport et sans transition, il a lancé : « Si ça te dit, y a des potes qui ont ouvert un resto de grillades à côté, c’est canon. Je t’en parle parce que, dans le quartier, y a que des nanas ambiance quinoa végé. Tu dois adorer la viande, toi, non ? » J’étais troublée… Déjà, parce que je n’aime plus trop ça, la viande, et qu’en plus j’estime prendre suffisamment soin de moi pour avoir l’air « végé »…
Bah oui, parce que s’il y a bien une chose qui a changé depuis mes 30 ans, c’est bien mon transit, au revoir les fucking cheeseburgers – ou alors vraiment exceptionnellement et suivis d’un Gaviscon.

Et puis merde, je n’ai même pas à me justifier, peut-être que, moi aussi, je suis une fille très délicate qui aime le quinoa. Peut-être que je digère super mal le lactose, moi aussi, mais qu’au lieu de dire : « T’as pas du lait d’avoine pour mon latte ? », je dis spontanément : « Ouh la, t’as pas plutôt du lait végétal, parce que je digère pas du tout les produits laitiers ? » Voilà, tout était de ma faute, pourquoi est-ce qu’il fallait systématiquement que je choisisse la vulnérabilité et les détails grotesques plutôt que le cool ?

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