Nous étions merveilleuses

Auteur : Laure Rollier
Editeur : Fayard/Mazarine

Noémie, Lisa, Marion et Stéphanie sont amies depuis toujours. Mais toujours, c’était il y a une éternité, et les voilà déjà au tournant de leur vie d’adulte. Aussi décident-elles de mettre de côté enfants, maris et boulots pour revivre le voyage de leurs dix-huit ans. Ce que les quatre amies ignorent, c’est qu’il sera le plus important de toute leur vie.

« Je donnerais n’importe quoi pour pouvoir attraper par le col la gamine que j’étais et lui expliquer certaines choses.
Je lui dirais de prendre sa sœur dans ses bras plus souvent.
Je lui dirais de ne pas quitter l’homme qu’elle aime pour celui qui lui plaît.
Je lui dirais surtout de ne jamais porter de vert. Jamais. Je ne supporte plus cette couleur depuis que je suis ici.
Et vous, vous lui diriez quoi ? »


L’été de leur dix-huit ans, Noémie, Lisa, Marion et Stéphanie ont vécu un voyage inoubliable qui a scellé leur amitié pour toujours. Quatorze ans plus tard, les quatre amies décident de mettre leur vie d’adulte, le quotidien et toutes ses contrariétés de côté pour revivre le périple de leur adolescence. Ce qu’elles ignorent, c’est qu‘il sera le plus important de toute leur existence.

Laure Rollier brosse avec humour et une douce nostalgie ces rencontres qui vous vous marquent à tout jamais.

Lauréate du Mazarine Book Day en 2017 et originaire du Sud-Ouest de la France, Laure Rollier, a publié son premier roman Hâte-toi de vivre ! en 2018 aux éditions Mazarine (LGF, 2019). Parallèlement, l’auteure, qui travaille au sein d'un journal, prépare des albums destinés à la jeunesse et divers projets musicaux.

16,00 €
Parution : Septembre 2019
272 pages
ISBN : 978-2-8637-4510-6
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Extrait

Paris
Jeudi 13 juillet 2017

— « Faut-il le condamner avant que de l’entendre ? Hélas ! De tant d’horreurs son cœur déjà troublé doit-il de votre haine être encore accablé ? »
— « Quoi ? Madame, parmi tant de sujets de crainte, ce sont là les frayeurs dont vous êtes atteinte ? Un cruel1… »
Adrien stoppe sa tirade et me fixe bêtement. Il croit peut-être que son texte est inscrit sur mon front. Allez savoir.
— Ce n’est pas possible, j’ai encore un trou… finit-il par lâcher en baissant les épaules.
Je croise les bras, interdite, et me tourne vers la production.
— Coupez ! hurle Carl, le metteur en scène, avant de souffler bruyamment.
Mon partenaire sort côté jardin tandis que je râle de ne même pas pouvoir terminer la scène. Une fois de plus.
— Bon, allez, merci à tous, fait Carl, dépité, on se retrouve lundi matin, huit heures précises.
Tandis que les autres acteurs et moi-même commençons à rejoindre les coulisses, il ajoute :
— Adrien, par pitié, ce week-end, insiste ! Acte III, scène 7, tu n’es absolument pas au point, mon grand.
Pas au point ? C’est le pire Achille que j’aie jamais vu !
Mon nouveau partenaire opine du chef sans sourciller. Une seconde plus tard, le metteur en scène s’adresse à moi :
— Noémie ! Je t’en supplie, arrête de froncer les sourcils chaque fois qu’il hésite. Lundi, je ne veux plus voir cette tête-là ! dit-il en m’imitant grossièrement.
— Ça tombe bien, je ne serai pas là lundi, je vous ai prévenu depuis quelques jours déjà. Je pars pour la semaine, vous ne vous en souvenez pas ?
Carl se masse les tempes puis me fusille des yeux.
— Et peut-on savoir ce qui est plus important que ma pièce ? Hein, Noémie ? Où vas-tu, d’abord ?
Non seulement il n’écoute jamais lorsqu’on lui parle mais, en plus, il me donne l’impression d’être revenue au début des années 2000 et de devoir demander l’autorisation à mon père pour partir avec mes copines. Je soutiens pourtant son regard :
— Vous le savez, Carl ! Je vais à Brest voir ma famille. Ma tante a des problèmes de santé.
Ce n’est pas tout à fait vrai, mais de toute façon je baladais aussi mon père à l’époque.
— Soit. Utilise donc cet événement personnel pour y puiser toute la complexité d’Iphigénie, m’explique le metteur en scène, les poings serrés.
Je dénoue mon chignon de déesse et lui mens sans l’once d’un remords.
— Je vous promets de travailler mon personnage, Carl.
— Allez, du vent, les petits ! À la semaine prochaine, ajoute-t-il avant de nous tourner le dos pour regagner son bureau.
Carl a toujours eu la fâcheuse habitude de s’adresser à l’ensemble de la troupe comme s’il était professeur de grande section de maternelle. Ventripotent et pas plus grand qu’un enfant de douze ans, il mène cependant ses acteurs à la baguette. Une habitude prise alors qu’il dirigeait brillamment l’Academic Arts à Londres dans les années 1980, avant de rejoindre le pays pour suivre une actrice qui l’a quitté depuis. Les petits nouveaux de la compagnie essaient souvent de les remettre à leur place, sa condescendance et lui. Je les regarde faire avec peine et nostalgie. Peine, car ils apprendront à s’y faire, personne n’a jamais réussi à le changer jusqu’à maintenant. Nostalgie, car je me revois, il y a douze ans, lorsque j’ai débarqué à Paris, pleine d’idéaux et de rêves de gloire.

Septembre 2005. J’avais vingt ans depuis quelques jours à peine. Après deux années passées sur les bancs de l’université de Brest, je venais de louper lamentablement ma licence de lettres classiques. Il faut dire que je n’allais jamais en cours et passais tout mon temps à courir les castings aux quatre coins du pays. À cette époque-là, ma mère s’arrachait les cheveux rien qu’à l’évocation de mon prénom.
— On n’en fera rien, Daniel ! répétait-elle à mon père lorsque je leur parlais de mon désir de devenir actrice.
— Poh…, répondait-il sans lever les yeux de son bol de soupe.
Ce qui avait le don de la rendre chèvre, ma mère.
Plus tard, j’ai compris qu’il ne s’en moquait pas, au contraire, il était à fond derrière moi. Sauf qu’il ne voulait pas entrer en conflit avec sa femme, qui pouvait se montrer pire encore que Hulk lorsque l’on n’était pas d’accord avec elle.
Un jour, la responsable d’une école de théâtre très réputée m’a appelée pour m’annoncer que j’étais acceptée pour la rentrée suivante. Après m’être assurée que ce n’était pas une mauvaise blague de la part des filles et avoir convaincu ma mère que je n’étais pas en train de me tirer une balle dans le pied, j’ai bouclé ma petite valise et j’ai atterri dans une colocation improbable dans le onzième arrondissement de Paris. Nous étions quatre ; trois filles et un garçon, dans un appartement à peine plus grand que ma chambre d’adolescente. On n’a pas pleuré tous les jours, je vous assure !
J’ai vécu avec eux presque deux ans avant d’avoir mon propre studio, rue du Chemin-Vert, à deux pas du cimetière du Père-Lachaise. Ce n’est pas un palace, mais je m’y sens bien, et je n’ai plus jamais eu à supporter les hurlements de mon colocataire les soirs de Ligue des champions.
Afin qu’ils me laissent partir, il m’a fallu promettre à mes parents de rentrer au moins deux week-ends par mois et de reprendre mes études à Brest l’année d’après, si jamais les choses ne marchaient pas pour moi. C’était il y a douze ans. Je ne suis jamais revenue.
À part le week-end, évidemment, sinon Hulk se serait arraché la chemise avant de venir me chercher par la peau des fesses.
À ce moment précis, vous vous dites que je suis une actrice reconnue qui tourne dix mois par an à Hollywood et vit une idylle secrète avec Bradley Cooper. J’aurais bien aimé, je ne vous le cache pas. Sauf que ma vie a pris une tournure différente.
Après une année intense à l’école Jean-Anouilh dans le quartier du Marais, j’ai intégré la Compagnie Laval dont je fais toujours partie aujourd’hui. Nous jouons principalement des classiques, avec parfois quelques mises en scène burlesques. Une récréation dans ma vie, le temps de quelques semaines. Plus le temps passe et plus je me demande ce que je fais encore là. J’ai envie de créer, d’innover, d’écrire même. La véritable question est de savoir si je suis capable d’élargir la palette.
Pourquoi rester alors que je préfère encore écouter le concierge me raconter ses dernières vacances dans le Lot-et-Garonne plutôt que de me rendre à la compagnie ? Parce que j’ai trente-deux ans et qu’à mon âge les opportunités de devenir la nouvelle tête d’affiche du Théâtre des Variétés fondent en rythme avec la banquise. Par habitude et par facilité aussi, certainement.
Et puis, il y a Antoine.

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