L'Ange du matin

Auteur : Arni Thorarinsson
Editeur : Anne-Marie Metailié

On pourrait penser que la postière, sourde et sans le sou, tuée à Akureyri, et le capitaliste, «nouveau Viking» de Reykjavik, à la tête d'un portefeuille de millions en créances, n'ont aucun rapport l'une avec l'autre. Et pourtant le destin fait se croiser leurs chemins lorsque, malgré l'opposition de la police, Einar enquête pour son journal sur la disparition d'une petite fille.
Einar, ironique et tendre, a rarement été confronté à un crime aussi complexe. Rien ne s'est passé comme on pourrait s'y attendre. Portrait caustique et désabusé de l'Islande contemporaine, ce roman décrit l'évolution rapide des moeurs et la corruption des âmes. Le surprenant retournement final est dérangeant dans sa description de l'innocence perdue et de l'irréversibilité des évolutions de société. L'intrigue resserrée et bien menée entraîne le lecteur fasciné aux côtés de cet enquêteur à la fois nonchalant et lucide. Un roman passionnant, éclairant et terrifiant.

20,00 €
Parution : Octobre 2012
312 pages
ISBN : 978-2-8642-4890-3
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Extrait

UN MERCREDI MATIN AU DÉBUT DE JANVIER

J'arrive trop tard. Si le temps est le moyen qu'a trouvé la nature pour éviter que tous les événements se produisent simultanément, il n'est pas très efficace. Je ne disposais pas d'assez de temps. Peut-être était-ce une question de secondes, ou peut-être de minutes. Mais, conformément à une loi implacable, j'arrive trop tard.
Alors que je quitte tranquillement la maison jumelée que j'occupe dans le quartier de Hlidahverfi, je n'ai pourtant pas l'impression que le temps me manque. Mon haleine sort de ma bouche pour s'élever dans l'air glacial et immobile de la ville d'Akureyri. C'est la preuve indéniable que je respire, avec les volutes de vapeur afférentes et tout le bataclan. Mes jambes m'obéissent et me transportent, lentement mais sûrement, jusqu'à mon poste de travail sur la place de l'Hôtel de Ville. Toute chose est encore conforme à mes plans, au voeu que j'ai formulé en silence et à la résolution personnelle que j'ai prise lorsque nous sommes entrés d'un bond avec ma fille Gunnsa dans la nouvelle année. Mes vieux parents n'ont pas voulu tenter leur chance, du reste, ils auraient hypothéqué leur futur si, comme nous, ils étaient montés sur cette chaise pour faire le grand saut à cloche-pied au risque de se casser une jambe en se réceptionnant. Dans ce genre de situation, mieux vaut reculer que sauter.
Il suffit d'y croire un peu pour envisager les sommets des Sulur, Kerling, Hlidarfiall, la lande de Vadlaheidi et les montagnes qui cernent le fjord d'Eyjafjördur, ainsi qu'Akureyri et son Pollur comme les géants tutélaires de la ville, les anges gardiens donnés par mère nature. Mais dans la pénombre matinale de ces premiers jours de l'année, peu de choses viennent confirmer cette croyance, si ce n'est la foi elle-même.
Les lampadaires projettent à peine leur clarté pâlotte sur l'environnement immédiat : immeubles, entrepôts, usines et bâtiments à usage de bureaux. L'allée piétonne qui longe la rue Skardshlid et traverse le pont enjambant la rivière Glera avant d'entrer dans la rue Glerargata est loin d'offrir la plus jolie vue de la charmante capitale du Nord. Mais je vais devoir m'en contenter pour me bâtir un futur et faire ce que les experts nous conseillent : chercher le positif au sein du négatif, se battre pour remporter la victoire y compris dans la défaite, voir les ouvertures au bout des impasses et la lumière au fond de la plus noire des nuits. Et ainsi de suite. En général, je ne suis pas très doué pour me bercer d'illusions sans avoir ingurgité un verre d'alcool et je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle, en ce moment, je me satisfais entièrement de la déliquescence.
L'esprit occupé par ces considérations, je marche d'un pas léger dans le petit matin. À l'angle des rues Glerargata et Eyrarvegur, je croise une vieille femme qui n'est pas de cette humeur. Elle jure et maugrée tout ce qu'elle sait dans son coin. Je ne me laisse pas décontenancer et pose un pied sur la chaussée pour traverser.
- Hé, vous, là-bas, me crie-t-elle alors. Vous travaillez bien au Journal du soir, n'est-ce pas ?
Et moi qui m'imaginais ne pas être un visage connu.
- Euh, oui, dis-je alors que je maudis en silence la politique du droit à l'image appliquée par mon journal.
Elle me fait signe de me retourner. Rien ne m'oblige à lui obéir, mais je m'exécute quand même.

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