Les aigles puent

Auteur : Lutz Bassmann
Editeur : Editions Verdier

Un homme, Gordon Koum, revient dans une ville détruite. Toute sa famille repose sous les décombres. Lui-même, irradié, va mourir. La guerre est partout, l'ennemi indescriptible frappe sans cesse... Près de lui il remarque un pantin noirci et la dépouille miraculeusement intacte d'un rouge-gorge. Il se tourne vers eux pour parler, mais, au-delà, il s'adresse à ses enfants, à sa femme et à ses camarades disparus. Il raconte de petites histoires bizarres, cruelles, tendres, toutes marquées par un humour noir dévastateur. Et peu à peu il retrace la geste d'une communauté de fin du monde, où les faibles survivent en puisant leur force dans le rire décalé et dans une violence qu'ils savent inutile. Réfugiés, errants, sous-hommes, éclopés vivant dans leurs rêves, personnages de l'après, voilà les héros dont Gordon Koum évoque la mémoire. Il leur rend hommage parce qu'il les aime. Et aussi parce qu'ils possèdent encore, au coeur du dénuement et du cauchemar, la lumière qui fait d'eux des résistants magnifiques, des amoureux, d'authentiques et indomptables humains.

16,23 €
Parution : Septembre 2010
150 pages
ISBN : 978-2-8643-2613-7
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Extrait

I. Cendres (I)

Les bombardements qui détruisirent la ville eurent lieu un jeudi, alors que Gordon Koum était en mission à l'extérieur.
Il était allé tuer quelqu'un. C'est pour cette raison qu'il avait survécu.
La matinée du vendredi s'annonçait brouillasseuse. A la première heure, Gordon Koum s'arrêta devant un barrage routier que surveillaient des hommes qui arboraient un brassard de la défense passive. Ils discutèrent pendant une poignée de minutes. Les types, des quinquagénaires fatigués, avaient tous de vieux blousons et ils n'étaient pas armés, à l'exception d'un moustachu qui portait une carabine en bandoulière. On avait l'impression d'être en face d'un petit groupe de partisans qui s'étaient trompés de siècle. Bien qu'investis d'une fonction officielle, ils ne pouvaient pas maîtriser la peur accablée qui brillait dans leur regard. Ils avaient pour tâche de dissuader les gens d'aller fouiller sur les lieux du désastre, mais, en fait, dérisoire était le nombre des volontaires qui se présentaient à eux. Plus réduit encore était le nombre de survivants qui arrivaient jusqu'à leur poste depuis la ville. Personne encore ne s'était manifesté, venant de ce côté-là. Et c'était cela, plus que tout, qui effrayait. Au fracas de la veille avait succédé un calme absolu. La nuit n'avait pas été ponctuée par le moindre cri de désespoir ou de douleur. L'aube avait été silencieuse. Au-delà des barrières de la défense passive, le boulevard désert ressemblait à une allée tapissée de mâchefer, et, au lieu de s'enfoncer dans la ville, il s'arrêtait contre une montagne de débris qui était comme une porte donnant sur la mort. On regardait le début de ce chaos privé de tout signe de vie, et on sentait monter en soi des certitudes affreuses. On renonçait presque à l'idée qu'il y eût quelque part, plus loin, des rescapés en attente de secours. Les autorités, d'ailleurs, ne s'y étaient pas trompées. Après avoir envoyé un drone sur le théâtre des opérations, elles avaient donné l'ordre aux équipes de sauveteurs de rebrousser chemin, et, en gros, d'aller s'occuper d'autre chose que de remuer inutilement ce qui était devenu un immense cimetière. La ville serait peut-être un jour reconstruite ailleurs. Quant aux ruines, elles seraient déclarées zone interdite et laissées à elles-mêmes, avec leur silence et leurs morts.

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