Les princes de Sambalpur

Auteur : Abir Mukherjee
Editeur : Levi

Échouer à prévenir l'assassinat d'un prince n'est pas un fait d'armes dont peuvent s'enorgueillir le capitaine Wyndham et le sergent Banerjee, de la police de Calcutta. Piqués au vif par cet échec, l'inspecteur et son adjoint décident de suivre la piste des mystérieuses missives reçues par le prince jusqu'à Sambalpur, petit royaume de l'Orissa, célèbre pour ses mines de diamants. Le vieux maharajah, entouré de ses femmes, et de dizaines de concubines et enfants, paraît très affecté par la mort de son fils aîné, et prêt à accepter leur aide.
D'omelettes trop pimentées pour les papilles anglaises au culte de l'étrange dieu Jagannath, en passant par une chasse au tigre à dos d'éléphant, Wyndham et Banerjee seront initiés aux moeurs locales. Mais il leur sera plus compliqué de pénétrer au coeur du zenana, le harem du maharajah, où un certain confinement n'empêche pas toutes sortes de rumeurs de circuler.
Au-delà du suspense, une plongée au coeur des petits royaumes de l'Inde traditionnelle des années 1920, et une subtile analyse de l'impossible coexistence entre Britanniques et Indiens.

Abir Mukherjee, né dans une famille d’immigrés indiens, a grandi dans l’ouest de l’Écosse. Fan de romans policiers depuis l’adolescence, il a choisi de situer sa série policière à une période cruciale de l’histoire anglo-indienne, celle des années 1920, moment où l’emprise britannique sur l’Inde commence à être contestée. Les Princes de Sambalpur est le deuxième titre de cette série captivante.

Traduction : Fanchita Gonzalez Batlle
20,00 €
Parution : Octobre 2020
368 pages
ISBN : 979-1-0349-0324-5
Fiche consultée 60 fois

La presse en parle

Une série ambitieuse, d’une grande finesse, largement documentée. Et savoureuse, car les personnages principaux pratiquent, chacun à leur manière, un humour dévastateur!
France Inter


Polar historique de haute volée, roman d’aventures et, tout simplement, excellent livre, Les princes de Sambalpur est de ces lectures qui non seulement vous apportent un pur plaisir mais aussi vous instruisent sans jamais être lénifiants.
Encore du noir

Extrait

Vendredi 18 juin 1920

On ne voit pas souvent un homme avec un diamant dans la barbe. Mais quand un prince ne trouve plus de place sur ses oreilles, ses doigts et ses vêtements, je suppose que les poils de son menton conviennent tout aussi bien.
Les lourdes portes d’acajou du Palais du Gouvernement se sont ouvertes à midi et ils sont sortis, aériens : une ménagerie de maharajahs, nizâms, nababs et autres, tous les vingt drapés de soie, d’or, de pierres précieuses et d’assez de perles pour ruiner un escadron de comtesses douairières. Un ou deux se réclament de la lignée du soleil ou de la lune ; le reste, de quelque autre parmi la centaine de divinités hindoues. Nous les mettons tous dans le même panier pour les appeler simplement les princes.
Ces vingt-là proviennent des petits royaumes les plus proches de Calcutta. Il y en a plus de cinq cents dans toute l’Inde, et tous ensemble ils règnent sur les deux cinquièmes du pays. C’est du moins ce qu’ils se disent, et nous ne sommes que trop heureux d’avaliser cette fiction, du moment qu’ils chantent tous Rule Britannia et font serment d’allégeance au roi empereur outre-mer.
Ils s’avancent tels des dieux, en ordre strict de préséance, le vice-roi à leur tête, dans la chaleur étouffante, en direction de l’ombre d’une douzaine de grands parasols de soie. D’un côté, derrière une solide barrière de soldats enturbannés de la garde du vice-roi, se tient une
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foule de conseillers royaux, hauts fonctionnaires et parasites divers. Et derrière tout ce monde, il y a Sat et moi.
Un coup de canon soudain, tiré par un de ceux de la pelouse, chasse des palmiers des nuées de corbeaux aux cris assourdissants. Je compte les coups: trente et un au total, honneur strictement réservé au vice-roi; aucun prince indigène n’en a jamais mérité plus de vingt et un. Cela sert à souligner qu’en Inde ce dignitaire britannique mérite plus d’honneurs que tout Indien, quand bien même il descendrait du soleil.
Tout comme les coups de canon, la réunion à laquelle les princes viennent d’assister est purement destinée à la galerie. Le véritable travail sera effectué plus tard par leurs ministres et les hommes de l’administration indienne. Pour le gouvernement du Raj, l’important est que les princes soient là, sur la pelouse, pour la photographie de groupe.
Le vice-roi, lord Chelmsford, traîne les pieds en grande tenue. Elle lui a toujours donné l’air mal à l’aise et le fait ressembler au portier du Claridge. Pour un homme qui, habituellement, a l’air d’un croque-mort mal nourri, il s’est pomponné, mais à côté des princes il est aussi terne qu’un pigeon au milieu des paons.
«Lequel est notre homme?
– Celui-là», répond Sat en indiquant d’un signe de tête un grand individu aux traits fins portant un turban de soie rose. Le prince que nous sommes venus voir est sorti le troisième et il est le premier dans l’ordre de succession au trône d’un petit royaume niché dans l’Orissa sauvage, quelque part dans le sud-ouest du Bengale. Son Altesse Sérénissime le prince héritier Adhir Singh Sai de Sambalpur a requis notre présence, ou plutôt celle de Banerjee. Ils étaient à Harrow ensemble. Je ne me trouve ici que parce que j’en ai reçu l’ordre directement de lord Taggart, le chef de la police, qui a dit obéir là au vice-roi en personne. «Ces entretiens sont d’une importance capitale pour le gouvernement du Raj, a-t-il déclaré, et l’accord de Sambalpur est essentiel pour leur succès. »
On a du mal à croire que Sambalpur puisse être essentiel pour quoi que ce soit. Il faut déjà le chercher à la loupe sur la carte, caché par le R d’ORISSA. C’est tout petit, de la taille de l’île de Wight, avec une population en proportion. Et pourtant me voilà, prêt à épier une conversation entre son prince et Sat parce que le gouvernement de l’Inde a jugé qu’il y va de l’intérêt de l’Empire.
Les princes prennent place autour du vice-roi pour la photographie officielle. Les plus importants sont assis sur des chaises dorées et les autres debout sur un banc derrière eux. Le prince Adhir est assis à la droite du vice-roi. Quelques princes ont essayé de s’éclipser mais des fonctionnaires à l’air éreinté les ont rappelés à l’ordre. Finalement le photographe a fait tenir tout le monde tranquille. Les princes se sont tus et regardent droit devant eux: les lampes flood font «pouf», la scène est captée pour la postérité et ils sont libérés.
Quand le prince héritier repère Sat il est évident qu’il le reconnaît. Il interrompt une conversation avec un maharajah dodu qui porte sur lui le contenu des coffres d’une banque et une peau de tigre et il vient vers nous. Il est grand, la peau claire pour un Indien, et l’allure d’un officier de cavalerie ou d’un joueur de polo. Comparé aux princes qui l’entourent il est habillé assez simplement: tunique de soie bleu pâle à boutons de diamants, nouée à la taille par une ceinture dorée, pantalon de soie blanche et chaussures anglaises classiques, noires et étincelantes. Son turban est retenu par une pince ornée d’émeraudes avec un saphir de la taille d’un œuf d’oie. À en croire lord Taggart, le maharajah père du prince est le cinquième homme le plus riche de l’Inde. Et chacun sait que l’homme le plus riche de l’Inde est aussi le plus riche du monde.
Un sourire éclaire le visage du prince qui s’approche.
«Boubou Banerjee, s’exclame-t-il les bras grands ouverts, cela fait combien de temps?»
Boubou, jamais je n’ai entendu personne appeler Sat ainsi et pourtant nous partageons un appartement depuis un an. Il a gardé secret ce nom de guerre et je ne peux pas lui en vouloir. Si quelqu’un à l’école avait jugé bon de m’appeler Boubou je ne m’en serais pas vanté. Bien entendu, Sat n’est pas son véritable prénom non plus. Un collègue le lui a donné quand il est entré dans la police impériale. Ses parents l’ont appelé Satyendra, et même si je m’applique à prononcer correctement le bengali je n’ai jamais tout à fait réussi. Sat m’a dit que ce n’est pas ma faute et que l’anglais ne possède tout simplement pas les consonnes qu’il faut, il lui manque apparemment un « d » doux. D’après lui, il lui manque énormément de choses.

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