Mãn

Auteur : Kim Thuy
Editeur : Liana Levi

Orient-Occident. Saigon-Montréal. C’est le parcours de Mãn, une jeune femme que sa mère a voulu protéger en la mariant à un restaurateur vietnamien exilé au Québec. Mãn a appris à grandir sans rêver, à vivre transparente. Mais en cuisine, lorsqu’elle réinterprète les recettes toutes simples de son enfance, les émotions se déploient. Un bouillon à la tomate rappelle les déchirements d’un peuple, un dessert rapproche deux cultures, et l’art d’émincer le piment en dit long sur celui de la séduction…
Dans un subtil balancement entre passé et présent, entre ici et là-bas, Kim Thúy dessine une mosaïque où se mêlent la mémoire, l’amour et l’enrichissement d’être ailleurs.

9,00 €
Parution : Octobre 2020
Format: Poche
208 pages
ISBN : 979-1-0349-0379-5
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Extrait

Des mots et des mets

La nourriture est omniprésente dans la vie des Vietnamiens. C’est par la cuisine que l’on exprime l’affection, l’amour, la tendresse. Ainsi ma mère ne dit pas « je t’aime », mais elle dépose la joue du poisson dans le bol de mon père qui à son tour la met dans mon bol, et moi dans celui de mon fils, qui, en bon petits-fils vietnamien, la remet dans le bol de mon père.
Pour moi, écrire la nourriture signifie donc écrire l’amour, et je le fais de manière naturelle. Mais écrire un livre de recettes est un exercice tout à fait différent. Ces dernières années, beaucoup de lecteurs m’ont demandé de le faire et j’ai essayé de les imaginer de toutes sortes de façons : une recette, une histoire ; une recette, un membre de ma famille; une recette, une émotion... Mais tout cela est resté à l’état de brouillon.
Comment rester floue ou poétique à l’image de la cuisine vietnamienne, tout en étant précise et méthodique ? L’aspect concret des ingrédients, des mesures, des temps de cuisson brise mon élan. Pour cuisiner un poisson caramélisé par exemple, j’aimerais vous dire «à préparer avec un poisson attrapé dans l’étang», mais vous me demanderez certainement «quelle sorte de poisson ?» Pour la sauce, j’aurais juste envie de vous conseiller de « trouver l’équilibre entre les goûts sucrés, acides, salés du nước mắm, de la lime et du sucre» sans mentionner de mesures exactes : l’équilibre ne peut se mesurer,
il faut savoir être souple, s’adapter au degré d’acidité d’un agrume, à la maturité d’un fruit...
Malgré tout, je suis heureuse de partager ici huit de mes recettes fétiches, avec quelques approximations de rigueur, mais toutes testées et approuvées ! Voici comment elles sont dégustées à une table vietnamienne :
Les soupes tonkinoises, à base de vermicelles, sont appelées «soupes-repas» au Québec. On les mange au déjeuner ou au dîner, mais au Vietnam, elles sont servies le matin, tard dans la nuit, entre les repas, jamais en tant que plat principal. Ces bouillons sont probablement le petit déjeuner favori des Vietnamiens.
Si les soupes tonkinoises se mangent au restaurant, le canh chua se partage à la maison. Un repas typique comprend toujours un bouillon que l’on consomme à la fin ou entre deux bouchées afin de rincer le palais. Il existe toutes sortes de canh chua car on utilise les légumes du marché ou du jardin, des liserons d’eau aux feuilles de patate douce selon la saison. Ces soupes aigres-douces se marient parfaitement avec les plats de viande ou de poisson caramélisé.
On termine le repas avec des fruits mais rarement avec des pâtisseries. Le gâteau aux bananes proposé dans les pages suivantes se mange davantage entre les repas. À ce propos, j’ose affirmer que vous avez entre les mains la meilleure recette de ce dessert. Il existe mille variantes mais la mienne est divine. Mais n’oubliez pas, la cuisine est toujours un équilibre fragile que les doigts ressentent mieux que les mots expliqués.

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