Fièvre de cheval

Auteur : Sylvain Chantal
Editeur : Le Dilettante
En deux mots...

Monologue drolatique d’un turfiste stratège, Fièvre de cheval nous restitue avec brio le monde des bistrots attelés, le galop mental et les errances d’une vie sur terrain lourd. Le pari est une fête… mais très rarement.

15,00 €
Parution : Mai 2021
160 pages
ISBN : 979-1-0308-0042-5
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Présentation de l'éditeur

Les chevronnés adeptes du Pari Mutuel sont Urbains à un point que l'on n'imagine guère, d'une urbanité qui confine à l'intrusion voire touche à l'invasion. C'est ce qu'endure à la journée Anatole Bétancourt, héros de Fièvre de cheval, ancien consultant (en quoi ? Il a oublié) tourné maniaque du tapis vert pré, parieur compulsif et trinqueur frénétique. A peine a-t-il pénétré dans un café-turf, salué bas la tenancière et s'être mis, Bic en main, un oeil à l'écran, l'autre au carnet, en position de défricher la journée hippique que s'en viennent rôder puis le harceler pléthore de fâcheux en veine de confessions, de petites combines, de bons tuyaux ou de martingales infaillibles. Car notre homme raisonne, compute, déduit, pesant les chances au trébuchet des possibles. Un art de mettre le canasson en équation qui n'est pas toujours payant et l'oblige à quelques entorses avec la légalité. Et quand la patronne de l'hôtel pour une monte s'invitera dans son paddock et l'initiera à fouler le gazon et humer l'air des champs de courses, Anatole n'échappera pas à la sortie de piste. Monologue drolatique d'un turfiste stratège, Fièvre de cheval nous restitue avec brio le monde des bistrots attelés, le galop mental et les errances d'une vie sur terrain lourd. Rien ne me souciait plus dans une journée que ces quelques secondes, disséminées tous les quarts d'heure, à raison de quarante courses au quotidien cela représentait au final pas mal de minutes, ces quelques secondes donc, ces quelques secondes où le coeur palpitait, où un frisson me traversait quand le cheval sur lequel j'avais misé montait aux avant-postes et qu'il figurait dans les trois premiers aux abords de l'arrivée. Oui, un frisson. Un frisson enfin. En attendant celui qu'on appelle le dernier et que je ne redoutais même plus tant la vie avait cessé de me concerner.

Extrait

C’est curieux qu’on désigne une course par le mot « épreuve ». Car au-delà du sens qui se rapporte à la compétition sportive, ce terme signifie aussi, ainsi que le définit le Larousse, « la difficulté qui éprouve le courage de quelqu’un, qui provoque chez lui de la souffrance.» J’ai résisté trois jours avant de retourner au Platane. Et bien sûr, j’ai. Mais là, je n’ai pas misé un euro cinquante. Grisé par mes gains de la première fois, je me suis autorisé à parier davantage. Le on est bien d’accord, hein, Anatole n’avait plus du tout cours quand cette conne de Belle de Carsi, pouliche sur laquelle j’avais placé cinquante euros, vous rendez-vous compte elle était cotée à neuf contre un, ça m’aurait rapporté quatre cents euros de bénéfice, je disais quand cette abrutie de Belle de Carsi se mit à galoper alors qu’elle était en tête à cinq cents mètres de l’arrivée et que c’était une putain de course de trot. Une putain de course de deux mille huit cents mètres de trot où on ne lui avait pas expliqué, à cette débile, qu’il ne fallait pas galoper ? Souffrance, il dit, le Larousse, j’avais serré les dents, les poings, tout ce que je pouvais serrer, y compris mon ticket qui s’annonçait gagnant et que j’étais pourtant en train de froisser, merde il fallait que je fasse attention, car il ne passerait plus dans la borne, et puis voilà : le galop. Le on est bien d’accord, hein, Anatole n’avait plus du tout cours, car j’ai rejoué cinquante euros juste après Belle de Carsi. J’avais besoin de me refaire, et Accroche-cœur était cotée à douze contre un, six cents balles c’était super. Ça aurait été super.

Résultat des courses, à la fin de la journée j’avais tout perdu. Beautiful Place, Jessica et Marshmallow n’avaient pas davantage amélioré l’état de mes finances. Mais ce n’était pas ma faute : vous vous doutez bien que je n’aurais jamais parié de moi-même sur ces trois tocards. En réalité, je n’avais pas pu appliquer sereinement ma méthode. Oui, ma méthode. Infaillible, élaborée à base d’un astucieux mélange de probabilités et de savants calculs arithmétiques. Je ne la dévoilerai pas ici, car une méthode comme ça, implacable, sûre, on la garde pour soi, sinon tout le monde palperait, trop facile. Qu’est-ce que je disais ? Oui, que je n’avais pas pu me concentrer. Tout ça à cause d’Abdelkader. Il était bien gentil, Abdelkader, mais qu’est-ce qu’il était pot de colle. Impossible de m’en dépêtrer, tu peux pousser ton bras, s’il te plaît. Et que je te raconte que je viens de Caen, tu connais Caen ? Non. T’as bien raison, c’est moche comme ville. Et que je t’explique que mon banquier il m’a demandé si je comptais trouver du travail dans les PMU, sûr qu’il doit être de miche avec mon conseiller Pôle emploi. De mèche on dit, Abdelkader, tu m’excuses, mais avec ta main qui bouge tout le temps devant mon visage j’arrive pas à voir la cote de Ramon Zarate, comment ça, si je veux jouer Ramon Zarate je joue Ramon Zarate, quoi, Beautiful Place, t’es sûr de toi, t’as un tuyau, bon, O.K.
Je n’aurais jamais dû l’écouter : Ramon Zarate remporta la quatrième course à Marcq-en-Barœul. Et puis Abdelkader se lança dans une diatribe contre Macron alors que je m’apprêtais à parier sur le Quatre, Lovely Chloé. Au début, j’étais d’accord avec lui, alors Lovely Chloé, Lovely Chloé huit contre un, c’était parfait, rapport à ma méthode, et cet idiot d’Abdelkader voulut me convaincre à grand renfort de gestes, tu peux pousser ton bras s’il te plaît, qu’on n’en serait pas là si Marine avait arrivé au pouvoir. J’étais face à la borne, le doigt ferme et franc. Abdelkader s’était levé lui aussi, pour être certain que je ne perdisse aucune de ses paroles. Accédé au pouvoir, le corrigeai-je tout en me tournant vers lui. Et au lieu d’appuyer sur le chiffre Quatre, ce fut sur le Cinq que ripa mon doigt. Le Cinq, Jessica. Je ne m’en aperçus qu’après avoir validé mon pari. Pas la peine de vous révéler qui gagna la course, vous avez deviné. Jessicouille, oui. Quant à Marshmallow, là ce ne fut pas de la faute d’Abdelkader. Je n’étais plus du tout à mon affaire et je fis n’importe quoi. Les courses, ça peut être facile, si tant est qu’on soit un minimum concentré.

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