Une amitié

Auteur : Silvia Avallone
Editeur : Levi
Sélection Rue des Livres

En l'an 2000 Elisa est une timide adolescente de quatorze ans, mal dans sa peau. Beatrice, sa camarade de classe, flamboyante et extravertie, est résolue à s'emparer de la vie. Une amitié improbable se noue entre elles, malgré leurs différences et celles de leurs familles. La mère d'Elisa, jeune femme fantasque, mais aimante à sa façon désordonnée, tantôt délaisse ses enfants, tantôt les comble d'envoûtantes marques d'affection qui rendent le lien indestructible.
La mère de Bea, elle, affiche une apparence parfaite, surinvestissant celle de sa fille qu'elle transforme en poupée Barbie. Les deux gamines, poussées par une volonté de rébellion propre aux ados, font cause commune, mais Elisa est vite dévorée par un sentiment ambigu, mélange d'attraction et de jalousie. Et lorsque son père, un sérieux universitaire, initie sa camarade de classe à Internet, nouveau moyen de communication en train de s'imposer, elle observe avec agacement cet engouement. Une faille qui finira par séparer les deux amies pendant treize longues années, des années durant lesquelles Bea devient une célèbre influenceuse...

Traduction : Françoise Brun
22,00 €
Parution : Janvier 2022
464 pages
ISBN : 979-1-0349-0490-7
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Extrait

Bologne, 18 décembre 2019, 2 heures du matin
Le noir, c’était ce qui m’effrayait le plus, enfant. Il suffisait de descendre au garage sans appuyer sur l’interrupteur, de laisser entrebâillée la porte de la cave, et il était là, muet et dense. À l’affût.
N’importe quel danger pouvait s’y tapir. Sorcières, bêtes effrayantes, monstres sans visage, ou même, rien: le vide. Je crois que c’est pour cette raison que j’ai dormi avec ma mère jusqu’à un âge insensé, que j’ai honte de dire.
Et aujourd’hui, à trente-trois ans, je regarde le fond obscur de ma chambre, avec la sensation d’entendre crisser mes journaux intimes d’autrefois dans la cachette où je les ai enterrés vifs, après t’avoir perdue. Cinq ans de lycée et une année d’université résumés d’une écriture voletante, au feutre à paillettes, réduits au silence et au repos comme dans un vieux réacteur abandonné.
Depuis que nous ne sommes plus amies, j’ai cessé de noter des traces de ma vie.
Je m’assieds sur le lit. Dans un élan de sagesse, je comprends que le moment est venu de se souvenir, et de me confronter à toi. Sinon, je ne pourrais prendre aucune décision sage te concernant.
Je prends l’escabeau dans le débarras, je monte deux marches et je m’arrête, comme une voleuse. Voleuse de quoi ? De mon propre passé ?
Arrivée en haut, j’ai le cœur qui cogne. Je tends les bras dans la poussière qui recouvre l’armoire et j’attrape les six cahiers, là-bas dans le noir.
Je les emporte sur ma table de nuit, à la lumière. Les voir là, tout près de moi, c’est un coup de poing à l’estomac. Devant ces couvertures roses, à fleurs, dorées, je sens qu’une chose est claire: pas de paix possible entre nous deux, Beatrice.
Je pose la main sur la couverture lilas de mon agenda 2000-2001, tentée, sans savoir si je vais l’ouvrir. Mais pendant cette lutte contre moi-même, mes doigts échappent à mon contrôle, se glissent d’eux-mêmes entre les pages. Le journal s’ouvre et il en tombe un Polaroid décoloré, un de ceux que mon père avait faits de nous.
Je le ramasse, l’approche de la lumière plus vive de la lampe. Je me reconnais petite, les cheveux coupés courts; mon sweat des Misfits, mon sourire craintif. Et je te reconnais, toi, mon exact contraire. Ta chevelure magnifique, ton rouge à lèvres, tes ongles violets, et tu me serres dans tes bras en riant aux éclats. J’ai du mal à nous regarder.
Je retourne la photo. Derrière il est écrit : Amies pour la vie. Une date : 14 juin 2001.
Je ne sais pas depuis quand ça ne m’était pas arrivé, mais j’éclate en sanglots.

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