Avec la permission de Gandhi

Auteur : Abir Mukherjee
Editeur : Levi

Décembre 1921, le Raj tremble. Un certain Gandhi prône la désobéissance civile et des foules de manifestants pacifiques mais déterminés s’apprêtent à envahir les rues de Calcutta. Comment éviter que l’élégant prince de Galles, en visite officielle, ne soit témoin de la révolte qui gronde? C’est à cette situation inédite que la police impériale est appelée à se mesurer alors que dans la région des meurtres inexplicables se multiplient. Le capitaine Wyndham et le sergent Banerjee n’ont pas peur de se battre sur plusieurs fronts, mais pour Wyndham se rajoute une lutte serrée contre une addiction à l’opium de plus en plus envahissante. Tandis que Banerjee se donne un mal de chien pour concilier l’inconciliable: sa sympathie pour les courants indépendantistes et son appartenance à la police du colonisateur honni. Malgré leur pugnacité, l’issue de tous ces combats est loin d’être acquise.

Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle
20,00 €
Parution : Janvier 2022
320 pages
ISBN : 979-1-0349-0495-2
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Extrait

21 décembre 1921

Un cadavre dans un funérarium n’a rien d’inhabituel. Il est rare en revanche d’en voir un y entrer par ses propres moyens. Cette énigme mérite d’être savourée, mais le temps me manque, attendu que je suis en train de courir pour sauver ma peau.
Un coup de feu retentit et une balle passe près de moi sans rien atteindre de plus menaçant que du linge qui sèche sur un toit. Mes poursuivants – des collègues de la Force de Police impériale – tirent à l’aveugle dans la nuit. Cela ne veut pas dire qu’ils ne pourraient pas avoir plus de chance avec leur prochaine rafale, et même si je n’ai pas peur de la mort, atteint d’une balle dans le dos en tentant de s’enfuir n’est pas exactement l’épitaphe que je souhaite sur ma tombe.
Alors je cours, embrumé d’opium, sur les toits de Chinatown endormi, je glisse sur les tuiles disjointes qui vont s’écraser sur le sol et je me hisse d’un toit à l’autre avant de me réfugier enfin dans un espace minuscule sous le rebord d’un mur bas entre deux bâtiments.
Les policiers se rapprochent et j’essaie de calmer ma respiration tandis qu’ils s’interpellent dans l’obscurité qui avale leurs voix. Ils se sont apparemment séparés et sont peut-être à une certaine distance l’un de l’autre. Tant mieux. Ils avancent donc sans plus de repères que moi, et pour le moment le mieux que j’ai à faire est de rester immobile et silencieux.
Ma capture mènerait à des questions plutôt embarrassantes auxquelles je préfère ne pas devoir répondre sur ce
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que je faisais à Tangra au milieu de la nuit, puant l’opium et couvert du sang de quelqu’un d’autre. Reste aussi la question secondaire de la lame en forme de faucille que je tiens à la main. Sa présence serait aussi difficile à expliquer.
Ma sueur et le sang se sont évaporés et je frissonne. Décembre est froid, du moins selon les critères de Calcutta. Des bribes de conversation me parviennent. On dirait que le cœur n’y est pas. Je ne peux pas le reprocher aux policiers. Ils ont autant de chances de dégringoler d’un toit que de trébucher contre moi ; et compte tenu des événements de ces derniers mois je doute que leur moral soit au beau fixe. À quoi bon risquer de se casser le cou en poursuivant des ombres si personne ne doit les en remercier? Je veux qu’ils fassent demi-tour, mais ils s’obstinent à frapper dans le noir avec la crosse de leur fusil ou leur
lathi*1 comme des aveugles qui traversent une rue.
La présence rythmique se rapproche. J’envisage les choix se présentent, du moins je le ferais s’il en existait un. Fuir est hors de question – le type est armé et paraît si proche à présent que même dans le noir il n’aurait guère de difficulté à me tirer dessus. Me battre contre lui est voué à l’échec. J’ai la lame, mais je peux difficilement m’en servir contre un collègue, et de toute façon, avec trois autres policiers à proximité, mes chances de les éviter
se ratatinent plus vite qu’un coquelicot au crépuscule. Le son des coups change et le mince béton au-dessus de ma tête sonne creux. L’homme doit se trouver directement au-dessus de moi. Il remarque lui aussi le changement de son et s’arrête. Il frappe le rebord avec son fusil et saute à terre. Je ferme les yeux en attente de l’inévitable, mais
une voix s’élève. Une voix que je reconnais. «C’est bon, les gars. Ça suffit. On rentre.»
Les bottes se tournent en direction du commandement, et s’immobilisent pendant des secondes interminables. Elles s’éloignent enfin et je respire, puis je me passe la main sur le visage. Elle est encore poisseuse de sang.
Les voix s’estompent et les toits retrouvent le silence. Les minutes passent et de la rue montent des cris – en anglais, en bengali, en chinois – dans un bruit de camions qui démarrent. Je reste là où je suis, frissonnant dans ma minuscule cachette, à essayer de comprendre ce qui s’est passé.

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