Noir comme la neige
Un container abandonné en plein champ de lave près du port s'avère contenir cinq corps gelés de jeunes femmes, mais l'une d'elles sort du coma. La police la cache pour remonter la filière. Aurora, une enquêtrice financière qui sait chercher là où les autres ne vont pas, participe aux investigations.
En parallèle, une femme prend un jeune amant qui veut l'épouser tout de suite. Elle ne sait rien de lui sauf qu'il échange de longs coups de fil en russe avec sa mère. Son entourage s'inquiète qu'elle se fasse arnaquer par un gigolo étranger. Pour éloigner tout soupçon, elle demande à Aurora de se renseigner sur ce futur mari.
Trafic d'êtres humains, manipulation de femmes sentimentales et vrais mafieux vont croiser la route d'Aurora. Une intrigue bien menée, passionnante, et des coups de théâtre ! Suspense garanti !
Extrait
L’obscurité était totale dans la chambre lorsque Elín se réveilla. Derrière l’épais rideau, elle discernait par la fenêtre entrouverte un faible sifflement monotone – le vent jouait toujours la même mélodie hésitante. Ce n’était toutefois pas le vent qui l’avait réveillée, mais la voix de Sergei derrière la porte. Il parlait au téléphone et, à son ton, elle devinait que ce devait être cette femme qui l’appelait à toute heure de la journée. Il prétendait que c’était sa mère, en Russie. Ce qui pouvait évidemment être vrai, mais quelque chose lui semblait étrange, car il s’isolait toujours lorsqu’elle lui téléphonait. Pourquoi avait-il besoin de s’enfermer dans une autre pièce pour parler avec sa mère ? Surtout dans la mesure où Elín ne comprenait pas un mot de russe… il pouvait dire ce qu’il voulait à son sujet, elle n’en aurait pas la moindre idée.
Tendant la main, elle tâtonna à la recherche de son téléphone portable posé sur la table de chevet et, aveuglée un instant lorsque l’écran s’illumina, elle dut plisser les yeux pour voir l’heure. Bientôt 6 h 30, autant se lever. Elle avait l’habitude de se réveiller tôt pour descendre à son atelier, et souvent elle avait déjà peint pendant deux heures lorsque Sergei tapait par terre pour lui signaler qu’il était réveillé et avait préparé du thé. Attaché à respecter ses traditions, il suivait toujours le même processus long et minutieux. Il commençait par confectionner dans la théière une mixture noir d’encre qu’il laissait reposer avant de la filtrer et de la transférer dans une petite carafe. Il remplissait ensuite une grande carafe d’eau chaude, coupait un citron et disposait des tranches dans leurs deux tasses. Lorsque Elín remontait, il était généralement en train de verser le thé de la petite carafe, une demi-tasse pour lui, un fond pour elle, car elle ne l’aimait pas trop fort, puis il complétait le tout avec l’eau chaude de la grande carafe. Il appelait ça la Caravane russe et semblait convaincu que cela valait tous ces efforts. Personnellement, elle aurait pu se contenter d’un thé en sachet et n’aurait pas senti la différence.
Se redressant, Elín chercha avec les pieds ses chaussettes en laine et les enfila dans le noir. Elle n’avait pas eu l’intention d’espionner Sergei mais, à peine arrivée dans le couloir, elle ne put s’empêcher de poser l’oreille contre la porte de la salle de bains et de l’écouter parler d’une voix étonnamment douce. Il lui avait enseigné quelques mots de russe, elle savait les prononcer et les reconnaître lorsqu’il les lui disait, mais quand il parlait avec d’autres Russes à une vitesse normale, impossible de comprendre quoi que ce soit. Ce n’était qu’une succession de sons étranges qui, à ses oreilles, se ressemblaient tous. Tcha-tcha-chnié-chnié-minia-privnia-chnié-chnié. Ce n’étaient pas les mots qui la blessaient, mais le ton. La douceur. Elle connaissait cette voix tendre, qui l’avait séduite car elle contrastait si vivement avec son apparence et son attitude au quotidien. Sergei était un homme grand, au physique un peu rude quoique séduisant, et au quotidien il portait un survêtement de sport avec une grosse chaîne en or pendant sur son torse qu’il rasait sous la douche en même temps que son crâne. Lorsque Elín avait proposé qu’il s’achète une jolie chemise et un jean, il avait ri en lui rétorquant que c’était leur différence d’âge qui parlait. Qu’elle ne comprenait pas que c’était la mode actuelle – il porterait une chemise et une cravate le jour où il aurait trente ans. Quand il lui rappelait ainsi les vingt ans qui les séparaient, elle se sentait subitement ridicule d’être tombée aussi éperdument amoureuse à presque cinquante ans.
Ce même sentiment s’empara d’elle tandis qu’elle écoutait à la porte de la salle de bains. Tcha-tcha-chnié-chnié. Reconnaissant un mot, elle eut soudain la douloureuse sensation que son cœur était percé et que le sang chaud se déversait dans son ventre. Baby, dit-il au téléphone. Come on, baby. Ces mots, il les lui disait souvent. Lorsqu’il voulait la convaincre. La pousser à faire quelque chose. À sortir danser avec lui. À lui prêter de l’argent. À venir le rejoindre au lit. S’appuyant au cadre de la porte, Elín osa à peine respirer, de crainte de manquer un autre mot qu’elle pourrait reconnaître. Un indice. À qui pouvait-il bien parler sur ce ton ? Avec cette voix tendre qu’il n’employait que pour elle ? Come on, baby. Come on, Sofia. Chnié-chnié. Tcha-tcha-chnié.
