Le cycliste de Tchernobyl

Auteur : Javier Sebastián
Editeur : Metailié

Un vieil homme hagard, entouré de sacs remplis de vêtements, est abandonné dans un self-service sur les Champs-Élysées. « Ne les laissez pas me tuer », c'est tout ce qu'il sait dire.

Pripiat, ville fantôme, à trois kilomètres de la centrale de Tchernobyl : dans les rues désertes, entre la grande roue neuve et les autos tamponneuses abandonnées, pas âme qui vive. Sauf les samosiol, ceux qui sont revenus dans la zone interdite. Laurenti Bakhtiarov chante Demis Roussos devant la salle vide du ciné-théâtre Prometheus, deux Américains givrés testent les effets de la radioactivité sur leur corps... Au coeur d'une apocalypse permanente, Vassia, l'homme à vélo, croit encore à la possibilité d'une communauté humaine.

Traduit par de l'écossais par Bernard Hoepffner
10,00 €
Parution : 19 Septembre 2025
Format: Poche
208 pages
ISBN : 979-1-0226-1460-3
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Extrait

Le soleil. Et ce qui plus tôt ce jour d’automne avait été une explosion de chaleur immense et illimitée était à présent une puissance domptée recouvrant d’une mince couche de cuivre les plaines de l’Atlantique. La lumière scintillante ne cessait de progresser sur la mer, kilomètre après kilomètre, atteignait les rochers et les récifs de la côte, se glissait sur les terrasses de la rive et les traversait, grimpait avec force les cinquante derniers mètres de la falaise où l’herbe et les bouleaux nains avaient été écrasés contre la surface de la terre et puis elle plongeait dans les collines tapissées de bruyère et de sphaigne qui s’étendaient en terrasses et en pentes douces remontant jusque dans le ciel bleu au-dessus de l’île. Une brise légère transportait l’odeur du myrte bâtard et de la bruyère, de la vie marine. Et ainsi tout au long de la côte du grand promontoire dénudé, de sorte que toute la masse rocheuse qui se dressait, avec son extrémité aplatie et arrondie, au milieu de l’océan, adoucie par les dernières semaines du long été qui précédait l’inévitable hiver, avec ses vents et ses pluies, tremblait de chaleur et de vie.
Alasdair Mór ressentait lui aussi le soleil et tremblait en marchant. Comme le poids de ses gros souliers cloutés, en écrasant la sphaigne, faisait remonter toute l’humidité jaune, verte et brune, il se dirigea vers un sol plus sec, du côté de la mer. Quand il eut trouvé un terrain plus ferme, son grand corps reprit sa marche régulière et traînante. Il avançait comme un ours sur ses pattes postérieures, à petits pas, épaules tombantes un peu en avant du reste de son corps, avant-bras pendants telles des pattes antérieures ; poitrine, taille et hanches roulant maladroitement. En grimpant sur une butte couverte d’une bruyère qui lui montait aux genoux, il sentit ses cuisses se tendre sous la laine grossière du pantalon. Son épais tricot en laine huilée gris-vert, et son gilet en cuir taché et déchiré, tous les deux datant de plusieurs saisons, s’ingéniaient à le gêner tandis qu’il grimpait. Il grogna deux fois afin de donner voix à son effort puis, après une dernière enjambée, il se retrouva sur un monticule lisse et vert au bord de la falaise. Il s’arrêta un instant. Il remit en place sa casquette graisseuse, une fois, deux fois, se gratta la nuque puis, ayant enlevé sa casquette, il exposa son crâne au soleil.
Son visage était semblable à son corps, semblable à la colline derrière lui. Rugueux, battu par les intempéries, une ossature lourde. Un nez et des oreilles de bonne taille, des lèvres pleines, généreuses, comme la chair des pinces d’un crabe adulte. Et un peu partout, sans dessin particulier, poussaient de petites touffes de poils. Il y avait les poils sur ses joues non rasées, tel le regain dans une prairie à l’automne, mais aussi quelques longs poils, par un ou par deux, par touffes, n’ayant jamais connu la lame, qui poussaient sur les lobes de ses oreilles, au bout de son nez, dans ses narines, sur les arêtes épaisses de ses pommettes. Ses sourcils s’emmêlaient en un grand bosquet de pins au-dessus de son nez. Ses cheveux étaient gras et épais, aussi noirs qu’un cormarin, sans la moindre trace de gris malgré ses quarante-cinq ans. Ils roulaient et bouclaient en une houle froide et désordonnée, aussi fibreux et drus que des racines de bruyère sur son crâne épais, marqués seulement par le bord de sa casquette.

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